Des élections? Pour quoi faire?

By Pierre K. Malouf on November 13, 2008

Que les prophètes de tout acabit se le tiennent pour dit : il n’existe pas plus sûr moyen de se fourvoyer que de prédire l’avenir. Une prédiction qui se réalise prouve que le voyant a eu de la chance ; une prédiction qui ne se réalise pas fait la preuve de son ineptie. Votre humble serviteur n’échappe pas à la règle : dans ma chronique du 16 octobre dernier je prévoyais le résultat de la prochaine élection provinciale, hallucination dont je me repens humblement.

Présumant que de nouvelles élections fédérales auraient lieu en 2010 (je m’avançais déjà beaucoup), j’écrivais qu’au Québec, le parti libéral de Jean Charest formerait alors depuis quelques mois un gouvernement majoritaire. « Depuis quelques mois », ça voulait dire, dans ma petite tête d’apprenti sorcier, depuis le printemps ou  l’automne 2009, soit plus de deux ans après les élections du 26 mars 2007, qui ont donné les résultats que vous savez : un gouvernement libéral minoritaire, Mario Dumont chef de l’Opposition, le PQ tassé dans un coin.

Mon raisonnement était fragile, je n’en livrais que la conclusion, qui l’était plus encore. Persuadé qu’après deux ans ou deux ans et demi de cohabitation chicanière, la population du Québec aurait compris qu’il fallait retourner aux urnes, soit que les libéraux eussent été renversés par les deux partis d’opposition, soit que le premier ministre Charest eût pris acte qu’il ne pouvait plus gouverner efficacement dans ces conditions, conclusion qui aurait été partagée par une bonne majorité de la population, je prévoyais donc le triomphe des libéraux. Je crois toujours en la justesse de mon raisonnement, sauf que... le déclenchement des élections dès cet automne par un Jean Charest trop pressé d’en découdre ravale ma prophétie au rang des élucubrations.  

Revenant donc sur mes affirmations présomptueuses du 16 octobre, j’affirme aujourd’hui qu’en déclenchant dès maintenant, sous prétexte que l’économie va mal, des élections que personne ou presque ne souhaitait, les libéraux viennent de « swinger dans l’beurre », ou, pour employer une autre métaphore à saveur sportive, qu’ils viennent de mériter un carton jaune. Si jamais il s’avère avant le jour du scrutin que le Vérificateur général a raison de prétendre que nous sommes d’ores et déjà en déficit (aux dernières nouvelles, ce ne serait pas le cas), c’est la disqualification qui attend les troupes de Jean Charest. Quoi qu’il en soit, il est fort possible que le PQ, qui ne brandit plus la menace d’un référendum suicidaire, obtienne une majorité de sièges et forme le prochain gouvernement. M. Charest n’aura que lui-même à blâmer pour sa déconfiture. À l’heure actuelle, ce qu’il peut espérer de mieux, c’est de former de nouveau un gouvernement minoritaire, ainsi qu’il est arrivé à Stephen Harper.

Ces élections paraissent à ce point prématurées, voire inutiles, que la plupart des commentateurs laissent entendre que les électeurs baseront leur choix sur la mine des candidats, aucun des trois grands partis n’ayant rien à proposer qui puisse inciter quiconque à changer d’allégeance. Les plans de relance proposés au début de la campagne par le parti libéral et par le PQ vous ont d’ailleurs de ces airs de famille ! « Elles se ressemblent et se complètent, à un tel point, écrit Robert Sansfaçon, qu’elles auraient pu faire partie du même programme, voire d’un même budget [...] (1) » . Alain Dubuc opine dans le même sens : « Ce qui frappe d’abord, ce sont les similitudes entre les deux approches. (2) » Quant à la première proposition de l’ADQ, qui est de vendre sur le marché 7,5 % des actions d’Hydro-Québec, elle a le mérite d’une certaine originalité, mais suscite déjà des levées de boucliers auxquelles il fallait s’attendre dans un Québec où le mot « privé » est synonyme de « péché mortel ».  La proposition de l’ADQ, certes discutable, ne sera pas discutée, mais plutôt condamnée du haut de la chaire par des curés de toutes les confessions, les plus virulents se présentant comme les plus progressistes. Chez nous, plus on est à gauche, plus on est conservateur.

À condition de fixer leur attention sur ce qui se passe à Washington, les Québécois vont pouvoir continuer de se passionner pour la politique bien au-delà de l’échéance du 8 décembre 2008.

(1) Le Devoir, 7 novembre.

(2) La Presse, 7 novembre

 

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