Le 11 juin dernier, dans le « blogue de l’éditorial » sur Cyberpresse, André Pratte répétait un mythe qui, bien que grotesque, est savamment entretenu par les indépendantistes.
En effet, Pratte affirme que « Jacques-Parizeau-est-l’un-des-architectes-du-Québec-moderne », ce qui, soit dit en passant, est l’une des nombreuses hyperboles complètement ridicules auxquelles les nationalistes nous ont habitués quand il s’agit de mousser la gloire des semi-divinités qui trônent dans leur Panthéon imaginaire.
Au sujet des prétendues compétences économiques de Parizeau, il paraît évident que l’éditorialiste en chef de La Presse n’a pas lu la biographie de René Lévesque signée Pierre Godin, où l’on apprend que Lévesque, fâché par la tendance de Parizeau à MENTIR en plein conseil des ministres quant à l’état réel des finances publiques, lui avait retiré la présidence du Conseil du Trésor. L’ego hypertrophié du grand seigneur Parizeau en a été atteint en plein cœur, cela au point où il avait contemplé la démission, ce qui aurait pourtant été salutaire à l’économie québécoise de l’époque, vu l’état désastreux dans lequel il avait plongé les finances publiques. En tout cas, si André Pratte avait été au courant de ce fait, il se serait sans doute retenu un peu plus avant de qualifier à son tour Jacques Parizeau d’architecte de quoi que ce soit d’autre qu’un monument à sa propre gloire, dont l’éditorialiste, mal informé, se fait malheureusement le chantre.
Donc, pour ce qui est du fameux “Parizeau-grand-économiste-et-brillantissime-gestionnaire-public”, on repassera. Quant à “Parizeau-architecte-du-Québec-moderne”, j’aime mieux penser que les Québécois, dans leur ensemble, auront été eux-mêmes les architectes de la modernisation de leur société, au lieu de se contenter d’être les serviles laudateurs de quelconques demi-dieux nationalistes à la Parizeau ou autres qui leur auraient servi de bergers, et dont tous les prédécesseurs et inspirateurs se sont surtout acharnés à maintenir les Québécois dans un lamentable état d’arriération culturelle, économique et politique. Tout cela, clamaient-ils, afin de sauver la “Race” et la “Langue, gardienne de la Foi”. Vous n’avez qu’à lire les “œuvres“ du pseudo-économiste François-Albert Angers, apôtre de l’idéologie fasciste-corporatiste et l’une des plus grandes inspirations d’un Jacques Parizeau qui se revendique encore de lui, pour vous rendre compte du beau projet réactionnaire qu’il destinait aux paisibles brebis québécoises, que lui et ses semblables ont toujours rêvé de tondre à souhait.
Mais bon, nous pouvons concéder que cette méprise d’André Pratte n’est tout de même pas trop maligne. Mais là où il commet une faute grossière, c’est quand il affirme que la nationalisation de l’électricité, ce serait « en grande partie » l’œuvre de Jacques Parizeau. C’est de la pure foutaise. Le vrai champion de la nationalisation de l’électricité et le véritable fondateur d’Hydro-Québec, ce n’est ni Parizeau, ni même René Lévesque comme le veut un autre mythe très persistant. Le vrai fondateur d’Hydro-Québec, il s’appelle Télesphore-Damien Bouchard (1881-1962), et il en a d’ailleurs été le premier président.1
L’Hydro-Québec a été créé non pas en 1962, comme le prétendent les nationalistes aujourd’hui afin d’en attribuer la paternité à Saint René Lévesque, mais en 1944 par le gouvernement libéral d’Adélard Godbout, sous la pression expresse de T.-D. Bouchard, numéro deux du gouvernement. C’est T.-D. Bouchard qui, tout au long des trois décennies précédentes, avait mené la bataille pour la nationalisation des ressources hydro-électriques. Aussi, il faut savoir que la part du lion des entreprises hydro-électriques avait été nationalisée dès 1944. En 1962, le gouvernement québécois ne s’est emparé que des morceaux restants de cette industrie, après que T.-D. Bouchard ait largement ouvert la voie deux décennies plus tôt. On doit au très nationaliste Maurice Duplessis, qui avait battu les libéraux en 1944 et qui maintint son régime réactionnaire au pouvoir jusqu’en 1959, le gel de presque 20 ans de la croissance d’Hydro-Québec.
Il est à noter que T.-D. Bouchard était un antinationaliste convaincu et affiché, qui n’a jamais craint les attaques des élites nationalistes qui le traitaient lui aussi de “traître”, de “vendu”, entre autres épithètes infamantes qui, encore de nos jours, sont réservées aux Québécois francophones qui osent dire autre chose que ce qu’autorisent les canons de la pensée unique nationaliste. Il faut aussi rappeler que cet homme d’État, qui était l’ennemi juré des élites cléricales et racistes, a aussi été le principal champion de mesures progressistes très importantes comme le droit de vote des femmes et l’éducation gratuite et obligatoire, qu’il a fait adopter dès le début du mandat du gouvernement Godbout (1939-40).
Comme quoi on peut être antinationaliste et agir CONCRÈTEMENT pour l’émancipation globale et le mieux-être des gens qui vivent dans notre société. Comme quoi aussi les nationalistes d’aujourd’hui n’ont aucune espèce de leçon à donner en matière de patriotisme, bien au contraire, à ceux qui ne pensent pas comme eux et qui, comme T.-D. Bouchard dans son temps, ont l’audace de l’affirmer ouvertement et de faire preuve d’hérésie vis-à-vis la foi nationaliste.
Là où notre société a pu progresser dans l’histoire, on le doit d’ailleurs à des hérétiques comme T.-D. Bouchard, et c’est pour cette raison que je n’hésite pas à dire qu’on a besoin plus que jamais de nouveaux hérétiques dans le Québec d’aujourd’hui.
Enfin, André Pratte occupe une situation professionnelle qui devrait, il me semble, l’inciter à faire un peu mieux ses devoirs au lieu de se contenter de répercuter sans vérifier des mythes qui nous empêchent de voir clair sur notre histoire telle qu’elle a eu lieu en réalité. Surtout quand on tient compte du fait que je lui ai déjà donné deux des trois tomes des Mémoires de T.-D. Bouchard, dans lesquels est raconté en long et en large son long combat en faveur de la propriété publique des ressources hydroélectriques québécoises.
1 Pour en savoir plus, voir la biographie de T.-D. Bouchard écrite par Frank Guttman, The Devil of Saint-Hyacinthe, New York, i-Universe Books, 2007. La version française de cet ouvrage sera lancée d’ici environ 6 mois.