« Aujourd’hui, quand on demande à un jeune […] qui est Lionel Groulx, il répond que c’est une station de métro », déplorait Claude Béland, ancien dirigeant du Mouvement Desjardins et actuel président du conseil d’administration de la Fondation Lionel-Groulx, dans le Devoir du 13 août dernier.
Si un jeune me demandait à moi qui était Lionel Groulx, voici la réponse que je lui donnerais :
La mission principale du chanoine Groulx tenait à la sauvegarde de la langue française et de la religion catholique. Dans « L’Appel de la race », roman-phare du nationalisme québécois que Groulx publia en 1922, le personnage principal s’appelle Lantagnac. Issu d’une famille pauvre, il sera le seul des six enfants à faire de hautes études. Une seule chose lui manquait affreusement selon Groulx: « l’éducation au patriotisme ».
Devenu avocat, Lantagnac commet « l’erreur » d’épouser une Anglaise, d’aller vivre à Ottawa et d’adopter la langue anglaise, dans laquelle ses enfants sont éduqués. Ayant adopté un milieu protestant et anglophone et pour cette raison tourmenté de l’intérieur, Lantagnac décide de revoir sa parenté francophone après vingt ans d’absence. Ayant laissé sa femme et ses enfants à Ottawa il renoue donc avec les « anciens de sa famille » et, en effectuant une visite au cimetière où reposent ses ancêtres, il recouvre « toute [son] âme de Français » pour ensuite courir se confier au « bon » Père Fabien. Voici un extrait de la conversation entre le Père Fabien et Lantagnac après sa conversion :
- J’ai promis à mes ancêtres de leur ramener, de leur restituer mes enfants.
- Bravo!
- Mes fils et mes filles, continua Lantagnac, ont, par leur mère, du sang anglais dans les veines; mais par moi, ils ont surtout le vieux sang des Lantagnac, de ceux du Canada d’abord, puis, de ceux de France, les Lantagnac de Monteil et de Grignan. Soit quarante générations. Je me le suis juré : c’est de ce côté-là qu’ils pencheront.
- Bravo! répéta le Père Fabien.
- Je tiens à l’ajouter : l’avenir chrétien de mes enfants me préoccupe plus que tout autre chose. Mes études de ces derniers temps m’ont démontré par-dessus tout les affinités profondes de la race française et du catholicisme. C’est pourquoi, sans doute, on la dit la race de l’universel.
Plus loin, se plaignant des réticences d’au moins deux de ses quatre enfants à bien assimiler la langue française, il se rappelle ce mot de Barrès : « Le sang des races reste identique à travers les siècles! ». Et Groulx fit faire à son héros la réflexion suivante : « Mais il serait donc vrai le désordre cérébral, le dédoublement psychologique des races mêlées! »
Édifiant, n’est-ce pas ? C’est sans doute le plus mauvais roman que j’ai lu de toute ma vie, ex aequo avec le roman de Jules-Paul Tardivel, Pour la patrie, et j’ai 57 ans. Le plus mauvais mais, hélas, le plus efficace, car au Québec nous sommes encore prisonniers de l’esprit qu’il contient, reflet d’une pensée unique où la langue est utilisée non pas pour ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire l’instrument d’appropriation et d’expression de la culture, mais plutôt comme source d’un nationalisme sectaire.
Si jamais je retourne dans l’enseignement, je présenterais un cours que j’intitulerais « Qu’est-ce que le racisme ? » et je présenterais à mes étudiants le modèle raciste par excellence, celui du chanoine Groulx. Je leur dirais aussi que le chanoine a résumé dans son livre toute la stratégie de domination du clergé catholique sur les francophones. Je leur dirais que ce clergé, à qui les occupants britanniques avaient confié l’éducation des Canadiens-français, en a profité pour les maintenir captifs d’une éducation pauvre et à tendance raciste, par la désignation des Anglais comme race maudite et ennemie de la race pure. Mais les Canadiens-français sont d’une race supérieure et l’heure de la vengeance viendra, disait Lionel Groulx.
En fait, le plus important pour le nationalisme n’est pas la victoire ; c’est de faire croire à la victoire sans jamais l’obtenir, tout en maintenant les gens dans l’espoir. « Il faut toujours désigner un ennemi « (Charles Maurras). Dans un texte paru en 1919 sous le titre « Si Dollard revenait », Lionel Groulx, s’adressant à la statue de ce dernier, clame :
Descend de ton socle et de ton bras viril pointe-nous l’avenir et, s’il le faut nous te suivrons, frémissant comme des palmes, jusqu’à l’holocauste.
Évidemment, quelques bien-pensants, qui brillent toujours par leur inculture ou par leur hypocrisie, allègueront qu’il faut « remettre-tout-cela-dans-son-contexte ». Mais ceux qui se sont opposés aux idées racistes du chanoine Groulx à la même époque, ces mêmes bien-pensants les ont carrément évacué du « contexte ». Par exemple, où sont dans notre mémoire collective les libres penseurs comme Jean-Charles Harvey, les Jean-Louis Gagnon, les T.-D. Bouchard ? Pourquoi les Claude Béland de ce monde veulent-ils à tout prix que l’on se souvienne des paroles anti-démocratiques et anti-humanistes des Groulx et Tardivel, tout en les citant en exemple à suivre, alors que les défenseurs de la démocratie dans notre histoire sont délibérément relégués aux oubliettes ?
Voici ce qu’il me plairait d’enseigner à ce jeune qui me demanderait qui était Lionel Groulx : « IL N’Y A PAS DE RACE ». Les jeunes d’aujourd’hui, si on leur offrait une éducation humaniste et impartiale, comprendraient aisément que « L’Appel de la race » de Lionel Groulx n’est qu’un torchon raciste et que son idéologie devrait être dénoncée en tout temps. Ceux qui n’ont pas encore le cerveau paralysé par la pensée unique nationaliste devraient lire les œuvres de celui qui a surtout contribué à abêtir des générations de Québécois. Ainsi, ils pourront remarquer la présence dans notre société de ceux qui continuent l’œuvre de cet idéologue infect. Vous voulez des noms ? Si votre intelligence n’est pas trop engluée dans le nationalisme, vous les trouverez vous-mêmes, et très facilement. Ils sont légion.