Nationalisme et sclérose culturelle

Par Vincent Geloso le 10 juillet 2008

En cette terre d’Amérique, être francophone d’expression revient à être dans la minorité et cela représente un euphémisme. De descendance majoritairement catholique, nous sommes un peu moins minoritaire en Amérique du Nord mais nous demeurons tout de même minoritaire. Face à la culture anglo-saxone, nous sommes définitivement un îlot de différence dans une mer de soi-disant conformité.

Cette situation a permis l’émergence d’une attitude défensive et le réflexe de la minorité, le tout ayant été accentué par la libéralisation des échanges, de la mobilité de la main d’œuvre et du capital. Face à Madonna, on tend à croire que nos œuvres folkloriques vont disparaître. Face à McDonalds, on s’imagine un monde où tout le monde ne mange que des BigMacs. Face à Hollywood, on entrevoit la fin du cinéma Québécois. Face aux médias de masse, on discerne la relégation aux oubliettes d’œuvres comme les Fous de Bassan d’Anne Hébert. Les oiseaux de malheur affirment pressentir la damnation de ce qui nous distingue de cet océan anglo-saxon qui nous entoure.

Faut-il les prendre au sérieux? Absolument pas!

Premièrement, définissons une culture comme l’esprit d’une société qui découle des relations entre individus. Le discours apocalyptique des oiseaux de malheur ne repose sur rien de plus que de la peur et d’une vision statique d’une culture et donc de la société en quelque sorte. Dans un ton apologiste et nostalgique, ils évoquent l’idée d’une société idyllique sortie sans ambages de nos livres d’histoire. Ils s’imaginent une société qui conserve au travers du temps les même caractéristiques et qui évoluent en vase clos. Tout ce qui viendrait perturber cette culture est vu comme dérageant voire dangereux. Il faut donc, dans l’esprit de nos oiseaux de malheur, protéger notre identité au moyen d’interventions protectionnistes, limiter les choix culturels à l’identité nationale, de restreindre l’immigration pour éviter l’émasculation culturelle. Mais ces moyens que proposent nos oiseaux de malheur vont mener à une société intolérante, fermée d’esprit, sclérosée, moribonde voire xénophobe. Sans dire qu’il est impossible d’affirmer son identité à une société donnée ou à une communauté quelconque, il faut comprendre que l’étatisation, ou même la nationalisation, d’une culture est une menace à l’établissement d’une société libre et ouverte.

Une société n’est pas une image figée dans le temps, c’est le résultat d’une évolution qui continuera d’évoluer au travers des relations avec d’autre sociétés aux traits culturels différents. Il est vrai que certaine cultures locales disparaissent, mais globalement l’individu est confronté à de plus en plus de choix culturels au travers de la mondialisation qui permet à des cultures différentes de coexister. Qui aurait pu parler de syncrétisme religieux il y’a 100 ans? Qui aurait pu imaginer que le marché Jean-Talon contiendrait des produits de partout à travers le monde? Qui aurait pu imaginer que les candidats au doctorat aux États-Unis seraient originaires d’Asie à plus de 50%? Qui aurait pu imaginer que la musique deviendrait la passion de la classe moyenne chinoise émergente? Qui aurait cru que Bollywood et Hollywood passeraient des contrats ensemble un jour? Qui aurait pu croire qu’un individu pourrait avoir pour amis des juifs, des musulmans, des protestants et des catholiques et prendre un verre avec tous en même temps? Qui aurait cru que les œuvres d’arts africaines deviendraient une denrée prisée par tous les philanthropistes du monde? Maintenant, un individu peut, grâce à la multiplication des relations culturelles permise par la mondialisation, choisir parmi une gamme infinie de différences. Ses choix n’impliquent pas l’adoption complète d’une autre culture. Après tout, on n’a pas besoin d’être russe ou de devenir russe parce qu’on apprécie la pensée derrière des œuvres aussi monumentales que le Docteur Zhivago, Une journée dans la vie d’Ivan Denisovich, Guerre et Paix, la Vénitienne et Casse-Noisettes. C’est face à cette palette de choix immense qu’il peut se découvrir plus en profondeur et chercher par lui-même les points de repères qu’il veut se dessiner.

En opposition à cette société ouverte, on retrouve la société de nos apologistes nostalgiques d’une identité révolue. Dans leur besoin de se défendre et d’affirmer leur identité nationale, ils veulent protéger leur culture(et non pas encourager la culture en général) au travers de l’intervention de l’État. Au travers de celui-ci, une culture se rigidifie, perd sa liberté et devient un tout très subjectif qu’on prend tel quel et donc il est impossible de rejeter ne serait-ce qu’une mince partie. Les apologistes de cette société deviendront très agressifs à l’égard de tout ce qui menace leur idée très répugnante de la société. Les individus qui ne se reconnaissent pas dans cette culture ne peuvent affirmer librement leur différence et se verront contraints de se taire ou de s’exiler. Avec le temps, cette culture perdra de sa splendeur relativement aux autres cultures et les quelques aventureux qui se seront exilés n’auront été que le début d’une vague.

Ce que les apologistes de la tradition, de l’identité traditionnelles ou même les habitués au réflexe défensif doivent comprendre qu’une société n’a pas besoin de bureaucrates, de police ou d’agents de douane pour la protéger. Elle a besoin d’individus libres de faire des choix culturels, elle a besoin d’échange avec les autres cultures. Au travers des choix des individus, cette société sera sans cesse en mouvement et jamais ne cessera de se redéfinir.

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