Attiser les différences entre groupes humains à des fins partisanes est un procédé toujours très rentable politiquement, le recours aux mythologies nationales étant la recette de prédilection des démagogues désireux de justifier leur emprise sur la société. Aujourd’hui, notre différence par rapport aux autres Canadiens repose essentiellement sur le fait que notre langue maternelle est le français. Mais des pontifes ultranationalistes comme Bernard Landry s’acharnent à exacerber le culte de la différence. Landry, c’est connu, déteste tout ce qui est canadien ; on se souvient que, selon lui, le drapeau canadien ne vaut guère mieux qu’un « torchon rouge ». Dernièrement, il se pavanait en serinant la prétention que les Québécois seraient plus écolos que tous les autres Canadiens ; ses œillères nationalistes font qu’il est incapable d’aborder un enjeu sans en détourner le sens au profit de sa cause indépendantiste. Mais dans la réalité des choses, le réchauffement climatique est avant tout un problème planétaire qui exige l’apport de tous, d’où qu’on soit. En plus, la plupart des provinces canadiennes font dans ce domaine des efforts similaires à ceux du Québec.
Le nationalisme a tiré profit du fait que le culte de la différence a été consacré dans les livres d’histoire. Pourtant, l’histoire non mythologisée a dans la réalité réalité très peu à voir avec l’interprétation imposée par les nationalistes, qui ont surtout évité d’identifier les nombreux points d’entente ayant marqué l’histoire des francophones et des anglophones du Canada. Les Canadiens issus des deux groupes linguistiques partagent depuis longtemps un même espace politique, ce qui a suscité davantage d’influence mutuelle que de conflits, même si ces derniers sont toujours montés en épingle par les semeurs de division. Par exemple, plusieurs Québécois ne savent pas que le régime universel de soins de santé qui est aujourd’hui le nôtre au Québec a été inspiré par Tommy Douglas, premier ministre néo-démocrate de la Saskatchewan.
L’élite nationaliste s’est toujours évertuée à inventer des mythes nationaux. La fête des Patriotes fut naguère celle de Dollard des Ormeaux, une figure héroïque inventée par le fondateur du nationalisme québécois « moderne » (si on peut dire), l’abbé Lionel Groulx. Mais dans la vraie histoire, Dollard n’était plutôt qu’un voleur de peaux de castors qui aura manqué son coup avec un baril de poudre. Lorsque ce fait a été davantage connu, on a changé la journée de Dollard pour celle des Patriotes.
Le combat des Patriotes lors des rébellions de 1837-1838, dont le sens reste encore détourné par les nationalistes, fut en réalité non pas un conflit ethnique, mais une lutte pour l’établissement d’un gouvernement responsable. En d’autres termes, les deux rébellions dans les deux Canada cherchaient à établir la même chose : la démocratie. Comme le raconte l’historien américain Mason Wade, « la rébellion de 1837-1838 au Bas-Canada ne fut ni un conflit nettement déterminé entre deux groupes ethniques, comme nombre d’écrivain canadiens-français et anglais l’on considérée. […] Parmi les principaux lieutenants de Papineau, beaucoup étaient canadiens-anglais et les Patriotes entretenaient des relations étroites avec les réformistes de Mackenzie dans le Haut-Canada. »
Quand on lit Mason Wade, un historien américain et non pas anglo-canadien, on mesure combien profondément ancrée est devenue la mystification nationaliste de l’histoire, dont les promoteurs évitent soigneusement d’évoquer les Réformistes du Haut-Canada qui menaient le même combat que nos Patriotes d’ici. Fait intéressant, plus de rebelles ont été pendus au Haut-Canada qu’au Bas-Canada, mais de ça non plus nos nationaleux n’en parlent pas, pour faire croire que les rébellions étaient une lutte des « monstres » anglos contre les « bons » francos.
Serait-il possible d’être Québécois sans se revendiquer obligatoirement du nationalisme ? Pourtant, être francophone, même dans cette Amérique à majorité anglophone, n’est pas très compliqué : il s’agit de vivre en français tout simplement. La survie du français ne dépend ni de la loi 101, ni d’autres approches coercitives du même genre. Elle dépend avant tout de nous, de vous et moi, tout comme de nos nombreux amis francophiles. Si nous voulons que la langue française ait un avenir en Amérique, elle doit être, avant tout, synonyme d’esprit de liberté et d’ouverture, et aussi d’innovation et d’audace. Mais ça exige qu’on débarrasse notre histoire des mythes qui nous empêchent de la découvrir dans toute sa complexité, et aussi dans toute sa vraie grandeur. En un mot, libérons-nous donc enfin de l’emprise de ceux qui, comme Bernard Landry, attisent le culte de la différence pour mieux contrôler nos perceptions, donc notre pensée elle-même, quant à notre histoire et aussi quant à ce que nous sommes bel et bien devenus.
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