Que faire ici ? Et pourquoi ? Pourquoi j’écris ? Quels discours, quels pays ? Qui suis-je ? Où vais-je ? La disparition possible dans l’anonymat pousse toujours à une recherche de ce qui constitue son originalité propre. L’identité, la citoyenneté, la mémoire, les crises inévitables à traverser, individuellement et collectivement, fondent la route de l’écrivain, et l’écrivain, ici, a eu besoin de comprendre la route qui l’a mené de Bagdad à Montréal. La poésie de Naïm Kattan est perceptible tout au long de la lecture de ce lumineux recueil d’essais qu’est Écrire le réel, et elle confirme le parcours de l’écrivain. Deux dialectiques, deux discours : Orient/ Occident, dans différentes visions, non pas manichéennes, que l’on se rassure bien, mais plutôt comme des voyages dans le mouvement, dans de brèves analyses, en guise d’exercices, comme pour empêcher l’oubli et la mort.
Après plus de 40 livres, la mémoire de Naïm Kattan est bel et bien persistante et interroge les voies d’évitement, tout ce que l’on fait, en somme, pour éviter normalement les grandes questions contemplatives. Oui, mais pas ici. Il se fait confidences, il reprend le discours sur le temps, comme on reprend le train, qui s’était arrêté, dans l’autre voie, celle de l’échec. Naim Kattan est né à Bagdad, a fait ses études supérieures à Paris, a voyagé partout, et est venu à Montréal, « la ville de toutes les naissances ». On sent bien la tentation de l’insondable, le danger d’être un nouveau Narcisse. Toutefois, l’auteur évite ce piège comme on abandonne le démon du verbe, l’intime menacé de toutes parts, puisque la vérité est que le poète est plus bavard qu’un romancier. En effet, il parle de pluralité des discours, dans la mouvance et, c’est obligé, dans plusieurs directions à la fois.
Bref, difficile d’accoler une étiquette à ce recueil, mais on pourrait affirmer, sans exagérer, que l’auteur nous invite à ralentir les choses, pour mieux dire, mieux comprendre, et pour saisir la grâce, celle de la création assurément, mais également celle de la vie, cela sans se contredire soi-même. En littérature, tout se bâtit lentement, mot à mot, page par page. Naïm Kattan revient d’exil; il revient toujours de quelque part, il marche à la manière du juif errant. En fait, il dira qu’il n’erre pas, que dans son espace frappé de multitudes, au lieu d’errer il écrit : « Je suis un nomade qui reconnaît la route en la parcourant, me retrouvant chaque fois à moi-même ». Une dynamique, un mouvement, dans l’écriture même, dans la réflexion, et dans l’action. Produit d’influences multiples, Écrire le réel imprime des réflexions fortes, soulève des questionnements à la fois intérieurs et extérieurs. Difficile de ne pas se sentir concerné, touché, bien que le moi est toujours si limité dans cet immense découpage d’idées, de notes de voyage, de souvenirs.
À son arrivée à Montréal, il y a un peu plus d’un demi-siècle, Naïa Kattan a fondé, sous l’égide du Congrès juif canadien, le Bulletin du Cercle juif, feuille modeste peut-être, mais qui fut tout de même la première publication non-catholique de langue française au Québec. Avec des réflexions pointues sur la politique internationale, la mondialisation, la langue française et les origines, Naïa Kattan a su parcourir l’acte d’exister, de créer, et d’agir, en se retrouvant à chaque fois face à lui-même.
Bref, lire ce livre insuffle une dynamique, un mouvement dans la réflexion, dans l’action ; dans l’écriture même, obligeant le lecteur à prendre la vie dans ce qu’elle est en train de devenir, là, pavant la voie à un nouveau pays, une nouvelle réalité, un autre soi dans la communauté humaine. Un exil à fois intérieur et extérieur.
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