La Révolution tranquille expliquée aux jeunes

En préparation pour ce numéro, j’ai rencontré une étudiante, qui m’a interrogé sur la Révolution tranquille. Voici, sous forme de questions et réponses, une synthèse de nos échanges. 

Alice : Merci de répondre à mes questions. Vous avez vécu la Révolution tranquille.  Pourriez-vous nous situer dans le temps?

Moi : Avec plaisir, mademoiselle. Si j’ai bonne mémoire, les mots Quiet Revolution ont été utilisés pour la première fois par un journaliste du Globe & Mail quelques mois seulement après l’élection du 22 juin 1960. Jolie façon de décrire l’hyperactivité du gouvernement libéral de Jean Lesage. On dit que la Révolution tranquille a débuté à cette date. Il faut bien fixer un point de départ, pourquoi pas celui-là ? Il est moins sûr cependant qu’elle ait pris fin en 1966 avec la défaite des libéraux et le retour au pouvoir  de l’Union nationale dirigée par Daniel Johnson. À ce propos, voici ce qu’écrit Paul-André Linteau  : «Techniquement, la période de réformes accélérées ne dure que quelques années, de 1960 à 1966 ; certains estiment même qu’elle est terminée en 1964. Elle imprime tout de même un mouvement, une dynamique de changement, dont les effets se font sentir pendant deux décennies(1).»  Si l’on s’en tient à l’aspect politique, les années 1960 à 1966  constituent donc de solides points de repère.  

Alice : La Révolution tranquille aurait donc surtout été un événement politique?  De quelle façon y avez-vous participé ?           

Moi :    Je n’y ai pas participé. Quand la Révolution tranquille a commencé, je venais d’avoir dix-sept ans, quand elle s’est terminée, je venais d’en avoir vingt-trois. Comme tous les jeunes gens de mon âge,  je n’étais qu’un simple spectateur, un  spectateur d’ailleurs fort intéressé. Né en 1943, j’étais encore trop jeune pour exercer dans ma société une forme quelconque de pouvoir. Vous avez vingt ans, vous comprenez ce que je veux dire. Quant aux baby boomers eux-mêmes, les plus vieux n’avaient que 14 ans en 1960, année pendant laquelle il y eut au Québec 141 224 naissances, chiffre le plus élevé dans notre histoire et qui ne fut depuis jamais égalé, et il allait  en naître ensuite près de 900 000 jusqu’en 1966.  Cette période de grands changements, les Québécois nés entre 1946 et 1966 en ont sans doute subi les conséquences, bonnes ou mauvaises, mais ils n’en ont en aucun cas été les moteurs ou les acteurs, plusieurs centaines de milliers d’entre eux n’étant même pas nés quand le parti libéral de Jean Lesage a pris le pouvoir.  Ni moteurs ni acteurs, surtout sur le plan politique. On n’avait d’ailleurs droit vote à l’époque qu’à partir de 21 ans, le vote à 18 ans n’étant institué qu’en 1963. Aux élections de juin 1966, seuls les baby-boomers  né entre 1946 et 1948 purent voter, ce qui favorisa l’arrivée au pouvoir de l’Union nationale dirigée par Daniel Johnson.  

Alice : Comment ? 

Moi : Parce qu’en 66 une forte proportion des jeunes, ce fut d’ailleurs mon cas, vota  pour le RIN ou le RN ce qui fit perdre beaucoup de voix aux libéraux. Le RIN et le RN étaient deux partis indépendantistes, l’un de gauche, l’autre de droite... Mais revenons à nos moutons. Les grands et moins grands acteurs de la Révolution tranquille sont donc tous nés dans le premier tiers du XXe siècle. Georges-Émile Lapalme en 1907, Jean Lesage en 1912, Éric Kierans en 1914, Paul Gérin-Lajoie en 1920, René Lévesque en 1922, Pierre Bourgault, le chef du RIN, en 1934. Je vous ferai d’ailleurs remarquer, mademoiselle, que Paul Gérin-Lajoie est toujours bien en vie. Si l’on ajoute à cette liste très incomplète des  hauts fonctionnaires, des  syndicalistes, des intellectuels, des journalistes, le constat demeure le même. Michel Chartrand (qui vient de mourir) est né en 1916, Louis Laberge et Guy Rocher en 1924, Marcel Pepin en 1926, Claude Morin, en 1929, Jacques Parizeau en 1930. Et je ne parle pas des «Trois colombes», Marchand, Pelletier et Trudeau, nés en 1918 et 1919. Mais je sens que plusieurs des noms que je viens de prononcer ne vous disent absolument rien.

Alice : En effet, mais poursuivez donc.

Moi : Pour le meilleur ou pour le pire, cette période dite de la Révolution tranquille mit donc  en scène,  des vedettes jusqu’aux utilités en passant par les figurants (et sans oublier  les techniciens de scène), des hommes (et des femmes) qui avaient vécu la Crise et la Seconde Guerre mondiale et subi le régime très conservateur de Maurice Duplessis. Leurs convictions et leurs ambitions leur venaient parfois de loin. Les idées mises en applications à partir de 1960 flottaient dans l’air depuis longtemps et attendaient leur heure. Je pense par exemple à Georges-Émile Lapalme. Le programme du parti libéral de 1960, c’est lui, Lapalme, qui en est le principal auteur. Donc, après la mort de Maurice Duplessis et de Paul Sauvé suivies de l’élection d’un nouveau chef sans envergure, Antonio Barrette... un autre nom qui ne vous dit rien...  il était peu probable que l’Union nationale puisse conserver le pouvoir.  Et Lesage avait rassemblé autour de lui une «équipe du tonnerre» qui piaffait d’impatience. Sitôt arrivés au pouvoir ils ont commencé à tenir leurs promesses. 

Alice : Tout ce qui est arrivé était donc prévisible ?

Moi: Non. Il serait trop facile, cinquante ans plus tard de dire que ce qui est arrivé devait arriver. Au moment où les choses se sont passées, rien n’était décidé d’avance.  Il n’empêche que l’on vit se concrétiser alors des idées et  des projets et qui n’auraient pu être réalisés auparavant sous le régime rabat-joie de l’Union nationale.  En 1960, le couvercle a sauté, mais la marmite bouillonnait depuis plusieurs années. Les mentalités avaient déjà commencé à évoluer, grâce à la télévision entre autres, et les Québécois étaient mûrs pour de profonds changements. Je pense aux églises, qui étaient toujours pleines et qui allaient bientôt se vider. Mais rien de tout ça n’était écrit dans le ciel. Il a fallu qu’au gré des circonstances, dont certaines étaient incontrôlables, des hommes... et des femmes, prennent des décisions. Ces décisions eurent parfois des conséquences imprévisibles.  C’est ainsi que s’écrit l’histoire, mademoiselle. 

Alice : Vous parliez d’hyperactivité tout à l’heure...  Qu’a fait ce gouvernement au juste ? J’ai entendu parler de loi 101 et du libre échange...

Moi : Vous êtes drôlement mêlée, mais c’est un peu normal...  Jeune,  je souffrais du même handicap. L’histoire du Canada qui nous était enseignée, surtout centrée sur une Nouvelle-France idéalisée, ne nous permettait pas de comprendre le monde contemporain. L’histoire récente du Québec, nous n’en entendions jamais parler, sauf dans les chicanes de famille entre bleus et rouges. Essayons de mettre un peu d’ordre dans tout ça. Notre entrevue va paraître dans The Métropolitain, plusieurs articles vont pouvoir répondre à votre dernière question. Je peux quand même y aller d’une brève énumération des réformes décidées par le gouvernement de l’époque. Il y eut, grâce à  Gérin-Lajoie, une loi qui rendait la fréquentation scolaire obligatoire jusqu'à seize ans, la création du ministère des Affaires fédérales-provinciales, la création du ministère des Affaires culturelles, l’Assurance- hospitalisation, la création de la Société générale de financement, la nationalisation de l’électricité... L’effervescente des années soixante se retrouve dans le grand tiroir commodément étiqueté Révolution tranquille.