The Métropolitain

Les troubles continuent sur la rue Saint-Denis. Qui y mettra fin?

Par Pierre K. Malouf le 16 décembre 2011

Il y a eu un an le 2 octobre qu’un marchand de chaussures de la rue Saint-Denis, Yves Archambault, a reçu une mise en demeure d’un organisme appelé Palestiniens et Juifs Unis (PAJU) lui enjoignant de retirer de ses tablettes les souliers BeautiFeel, fabriqués en Israël. Bien que cette marque ne représente que deux pour cent de son chiffre d’affaire, le propriétaire du Marcheur considéra avec raison qu’il était libre de mener ses affaires à sa guise et refusa d’obtempérer. Le jour même, une douzaine de manifestants  se massèrent devant sa boutique avec pancartes et banderoles et distribuèrent aux passants de tracts qui  dénonçaient la prétendue complicité du Marcheur avec le soi-disant apartheid israélien.

​La thèse soutenue par PAJU et par Amir Khadir  à l’appui de cette action de boycottage des produits israéliens, c’est qu’Israël est un État qui pratique l’apartheid, idée héritée directement  de la fameuse résolution 3379, votée à l’Assemblée générale des Nations unies en novembre  1975 par le Bloc soviétique et les pays arabes et/ou  musulmans, résolution qui définissait le sionisme comme une forme de racisme et de discrimination raciale. Cette résolution a été abrogée en 1991, mais les antisionistes radicaux, ceux du Québec comme d’ailleurs dans le monde, n’ont pas renoncé au message qu’elle portait, comme on l’a vu à Durban en 2001.

​Mais que vient faire dans cette histoire un simple petit commerçant de la rue Saint-Denis ?  La réponse est simple : il est victime de l’impuissance des antisionistes québécois, qui n’ont trouvé comme moyen d’appliquer chez nous la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) lancée contre Israël en 2005, que de s’attaquer à un établissement qui ne fait pas partie d’une grande chaîne, et qui par conséquent n’a pas les moyens d’entamer des poursuites pour se défendre contre les fanatiques qui font pression sur sa clientèle pour qu’elle cesse d’acheter chez lui, ce qu’a fait le PAJU tous les samedis ou presque entre le 2 octobre 2010 et le 18 juin 2011, date après laquelle son action s’est concentrée contre un autre magasin de chaussures situé un peu plus au sud toujours sur la rue Saint-Denis, Naot, qui ne vend que des souliers fabriqués en Israël.

​De toute évidence, la population du Québec n’obéit pas au mot d’ordre des marginaux qui composent PAJU, ce qui n’empêche pas ces derniers de s’entêter dans leur vaine démarche et d’aller emmerder une fois par semaine un commerce de la rue Saint-Denis. Ils continuent de le faire au moment où j’écris ces lignes en allant piqueter devant le magasin Naot chaque samedi après-midi. Ils y rencontrent toutefois une forte opposition, puisqu’un groupe de citoyens contre-manifeste en même temps qu’eux pour dénoncer leur action, comme c’était le cas avant que PAJU ne renonce à intimider Le Marcheur.

​Le premier moment fort de cette campagne de harcèlement eut lieu le 11 décembre 2010. Ce jour-là, Amir Khadir se joignit aux piqueteurs de PAJU. Sa présence fit alors grand bruit, vous vous en souvenez peut-être. Plusieurs journalistes et commentateurs condamnèrent son action et son discours. Lysianne Gagnon, de La Presse, intitula même l’une de ses chroniques, Khadir le fanatique.

​Sa popularité auprès de Québécois risquant de chuter dramatiquement, Khadir se tint désormais loin de la boutique Le Marcheur, mais il poursuivit quand même sa campagne contre l’ «apartheid israélien» par des voies détournées, dont la plus vile consista, le 15 mai, à haranguer une foule de quelque trois cent personnes réunies à la Place Gérald-Godin au métro Mont-Royal à l’occasion de ce que les Palestiniens et leurs amis appellent la journée de la NAQBA, la catastrophe. c’est-à-dire l’exode des populations arabes au moment de la fondation de l’État d’Israël. Cet exode, on s’en souvient, fut surtout provoqué par les pays arabes eux-mêmes, qui lançèrent contre Israël une guerre d’extermination en promettant aux populations arabes en fuite qu’elles pourraient bientôt rentrer chez elle. Tel n’est évidemment pas l’interprétation d’Amir Khadir, qui déclara devant la foule réunie le 15 mai pour lancer une troisième intifada, qu’Israël avait inventé en 1947 et 1948 « le modèle de terrorisme appliqué aux populations civiles.» Textuel !

​Cette foule «crinquée» par Khadir   alla ensuite écouter une diatribe prononcée devant Le Marcheur par une des têtes dirigeantes du PAJU, discours qu’elle acclama en hurlant  à plusieurs reprises «Shame! Shame! Shame!» devant la boutique, spectacle auquel assistaient de l’intérieur, craignant pour leur sécurité, les propriétaires, les employés et  les clients du magasin.  Un événement semblable se produisit le lundi 23 mai, lors de la Journée nationale des Patriotes. Venant du Pied-du-Courant où elle s’était d’abord rassemblée, une foule qui arborait autant de pancartes de Québec solidaire que de fleurdelysés ou de drapeau des Patriotes remonta la rue Saint-Denis et s’arrêta devant Le Marcheur pour hurler sa haine. À cette occasion, ce ne ne fut pas Amir Khadir que si fit le porte-parole du parti Québec solidaire, ce sont des membres de Québec solidaire qui devinrent les porte-parole d’Amir Khadir.

​Ce dernier se fait encore plus discret depuis qu’il a été apostrophé le samedi 18 juin, par l’épouse de Yves Archambault. Le hasard a voulu que la voiture du député de Mercier, qui demeure dans le quartier,  fut stoppée au feu rouge à quelques pas du Marcheur, alors qu’au même moment des membres du PAJU manifestaient. Photographié au volant, menacé d’être dénoncé dans les médias pour son soutien au PAJU, Amir Khadir, réagit de quelle façon? Impossible de le dire de manière certaine. Ce qui est sûr  toutefois, c’est qu’après cet incident, le PAJU ne revint plus manifester devant Le Marcheur. Simple coïncidence ? Peut-être.

​La question qui se pose maintenant est la suivante : faudra-t-il passer de nouveau par l’intermédiaire de M. Khadir pour convaincre PAJU que les troubles qu’il provoque  ont assez duré, et qu’il faut cesser de faire chez Naot ce qu’on a déjà cessé de faire chez Le Marcheur?