The Métropolitain

La social-démocratie imaginaire

Par Pierre K. Malouf le 1 mai 2008

Le Québec ressemble à la France : on aime bien s’y gargariser de mots. L’un des plus populaires, qui clapote lamentablement dans nos pharynx, c’est l’expression « social-démocratie », tant galvaudée que, de nom composé, elle a dégénéré en notion décomposée.

Le problème avec la social-démocratie, c’est qu’elle n’existe pas. Je ne parle que du Québec, bien sûr. Le premier politicien québécois à se prétendre social-démocrate, ce fut Robert Bourassa, vers 1970,         à une époque où aucune alliance,   fût-elle circonstancielle, n’était envisageable avec des mouvements ouvriers qui se disaient trahis par l’État, qui voulaient casser le système, abolir le capitalisme, voire faire la Révolution (du moins dans les manifestes qu’ils ronéotypaient à s’en donner des crampes idéologiques). Les grandes centrales syndicales se faisaient les apôtres (c’était surtout le cas à la CSN et à la CEQ, mais aussi dans une moindre mesure à la FTQ) non pas de la social-démocratie—quelle horreur! —mais d’un socialisme « démocratique »!

Socialisme démocratique, quel délicieux oxymoron! Pauvre Boubou! Jamais premier ministre du Québec ne dut-il ravaler aussi souvent son rince-gorge. Social-démocratie, mon oeil ! Dans ces années-là, quelqu’un qui parlait de social-démocratie dans une assemblée syndicale se faisait traiter de fasciste ! « Un État social-démocrate repose sur le “tripartisme officialisé », c’est-à-dire sur la concertation entre un mouvement ouvrier et un patronat unifiés au sein d’un État gouverné par un parti social-démocrate lié organiquement aux syndicats. »* Une telle réalité n’a jamais existé ici. Nous avons certes eu droit à un simulacre de social-démocratie sous Lucien Bouchard, qui a réussi à créer un fragile consensus autour du fameux projet de déficit zéro. Mais rien de plus. Et il a suffit de quelques mois pour que l’expression « déficit zéro » entre au dictionnaire de la langue de bois—aussi populaire chez nous que le gargarisme, avec lequel elle se confond parfois—sous une forme légèrement modifiée par l’ajout d’un antécédent à connotation psychiatrique. On ne parla plus désormais, non plus du déficit zéro, mais plutôt de l’obsession-du-déficit-zéro, expression à jamais insécable, pétrifiée pour l’éternité.

 Un gargarisme, c’est utile à l’occasion pour éliminer les bactéries, mais pour raffermir une cervelle ramollie, ça ne vaut strictement rien. Un politicien qui se dit « social-démocrate » ferait donc mieux de déclarer : « Je suis une bonne personne ». Mme. Marois est une bonne personne. Mme. David et M. Khadir sont de bonnes personnes. Quant à MM. Charest et Dumont, je n’ose me prononcer, mais je suppute qu’ils ne sont pas très mauvais. Élisons, par exemple, le tandem David-Khadir. Qu’obtiendrons-nous ? Sûrement pas la social-démocratie! Non, nous aurons simplement ce dont nous jouissons depuis des lunes, encore de l’État-Providence, mais avec ces bonnes gens un État-providence plus providentiel qu’auparavant, avec toutes les conséquences négatives ou positives que cela pourra provoquer.

Hélas ! le Dieu caché de l’État-providence, c’est vous et moi, c’est le contribuable. Dieu n’est pas mort mais y est pas fort ! L’État-providence, je suis pour ! Mais à condition qu’on ne vienne pas chercher une crisse de cenne de plus dans mes poches pour stimuler la ferveur des dévots, ravaler la façade du temple ou engager de nouveaux ministres du culte payés à ne rien faire. Assez, c’est assez ! Et ne venez pas me traiter de sans-coeur ! Moi aussi, je suis une bonne personne. La preuve, c’est que chaque fois qu’on m’offre un bien soi-disant gratuit, la première question que je me pose c’est « qui c’est qui peut bien payer à ma place ? »