The Métropolitain

Un débat trop large

Par Vincent Geloso le 12 juin 2008

En 2006, Mario Dumont commençait à dénoncer les accommodements raisonnables. Plusieurs étaient au début ravis de constater qu’un homme politique osait dénoncer les concessions inacceptables faites à des groupes religieux au sein des institutions publiques. Néanmoins, on a vite réalisé qu’une boîte de pandore venait d’être ouverte. En l’espace d’à peine un an, nous avons vu se multiplier les aboiements, les récriminations. Les lamentations s’étendirent plus loin que la sphère des accommodements raisonnables. Les éléments les plus nationalistes sont ceux qui ont le plus contribué à inclure l’immigration et la langue afin de faire porter le débat sur l’identité. C’est vite devenu de la folie. La pire des folies dans un monde de fous est d’essayer d’être raisonnable.

Ceci dit, le rapport de la commission Bouchard-Taylor est relativement satisfaisant puisqu’il a respecté son mandat sans jeter aux poubelles sa rationalité. Généralement, le rapport demeure fidèle à l’idée de la sécularité en faisant la distinction entre institutions publiques et lieux publics. Tel qu’il est entendu, l’État ne peut pas prendre parti pour une religion, mais quant aux choix effectués par les citoyens, l’État n’a aucun droit de regard. Plus simplement, c’est la neutralité absolue de l’État qui laisse les gens libres d’effectuer des choix. Rien ne peut être dit tant que la Charte des Droits et Libertés et les lois qui lui sont compatibles sont respectées.

Par contre, plusieurs penseurs nationalistes poussent le raisonnement beaucoup plus loin. Ils affirment qu’ils veulent conserver les bénéfices de l’immigration sans que la majorité francophone ne s’efface ou que notre « identité » et nos « valeurs nationales » se perdent. Ils craignent qu’un recul du français puisse découler des hausses des seuils d’immigration. Ils se questionnent sur la capacité d’intégration du Québec. Leurs craintes ont des échos chez les Québécois, même parmi les moins nationalistes. Néanmoins, leurs craintes sont d’une part infondées et, d’autre part, le concept même de « valeurs nationales » ou « collectives » est douteux.

 D’abord, les Québécois ne sont pas menacés par les immigrants et le français n’est pas en train de reculer dramatiquement. C’est vrai, ceux qui ont le français comme langue maternelle sont maintenant sous la barre des 80% selon Statistiques Canada, une première. Cependant, en 2006, 51% des allophones avaient adopté le français comme langueparlée à la maison. Ce taux était de 46% en 2001 et de 39% en 1996. Si on augmente les seuils d’immigration comme on le fait depuis 1998, il va de soi que le nombre de citoyens ayant le français comme langue maternelle recule. De plus, on s’inquiète en 2008 du fait que les francophones de langue maternelle sont minoritaires sur l’île de Montréal. Mais pourquoi analyser les langues par région ? Les régions devraient-elles être considérées comme des îlots cloîtrés ? Les banlieues connaissent une croissance démographique depuis quelque années. Les gens qui vivent maintenant en banlieue gens vont quand même continuer de travailler et de vivre à Montréal, et ils vont continuer à influencer notre ville.

L’essentiel de la problématique reste à savoir si les gens adoptent le français pour vivre. À titre d’exemple, près de 70% des anglophones parlent le français, face à 36% des francophones qui parlent l’anglais. On peut inclure les effets de la loi 101 pour expliquer le phénomène, mais les anglophones ont nettement plus d’incitatifs économiques à apprendre le français que l’inverse, le fait qu’il s’agit de la langue dominante est sûrement un facteur susceptible d’augmenter potentiellement les revenus individuels. L’approche de l’opportunité économique est l’une des meilleurs manière d’intégrer les immigrants (et donc d’apprendre le français). D’ailleurs, le rapport Bouchard-Taylor proposait de questionner les pratiques des ordres professionnels, qui refusent de reconnaître les acquis étrangers dans le but de réduire l’offre de travail, et donc augmenter les revenus de leurs membres au détriment de tous. La solution que les nationalistes devraient embrasser, c’est plus de libertés économiques quant au marché du travail, à l’investissement et à l’entrepreneuriat.

Maintenant, vient la question des « valeurs nationales ». Ce concept a pris une ampleur démesurée. Qui au juste détermine ce que devraient être les dites « valeurs nationales » ? Un montréalais partage-t-il les mêmes valeurs qu’un mauricien ou un gaspésien ? C’est tout à fait absurde comme concept, on pense pour soi-même d’abord et avant tout. La capacité de chacun à raisonner permet de développer sa propre individualité et de vivre dans le respect de l’individualité d’autrui, ce qui prévaut dans le cadre de la loi.

Le problème est que le débat s’est tellement élargi qu’il est devenu difficile de faire preuve de raison lorsque vient le temps d’agir. On en est rendu à mélanger sans le réaliser (inconsciemment)les thèmes différents. Ainsi, on prétend que de garder le crucifix à l’Assemblée Nationale préserve notre identité historique tout en défendant la séparation de l’État et de la religion. On sombre vite dans la démagogie et les politiques publiques mal pensées se multiplient en se basant sur des nécessités imaginaires et sur des crises illusoires. Il est donc temps de rétrécir le débat afin de le ramener dans le cadre du mandat qui fut confié à la commission Bouchard-Taylor.