The Métropolitain

Histoires de s’entendre

Par Louise V. Labrecque le 29 mai 2008

Suzanne Jacob a fait de la musique, du théâtre, se passionne pour tout, puise son eau à toutes les sources, écrit des poèmes, des paroles de chansons, des essais. Elle chante, rit, édite, pense et parle. Et elle écrit, elle écrit, elle écrit … ! Je ne sais pas pourquoi Suzanne Jacob me fait penser à une montagne.  Je ne sais pas. Elle interroge pourtant l’abîme ; elle touche le gouffre. Dans son dernier livre, Histoires de s’entendre, un essai déshabillant toutes les idées reçues sur la fiction, elle amplifie les sens, pour amener le lecteur à prendre conscience de la nécessaire fiction, la « fiction vitale », comme socle à toute œuvre féconde et durable. Oui, c’est bien de vie qu’il s’agit, lorsqu’on écrit, toujours. Et pour plusieurs personnes, je suppose, cela peut avoir une sorte d’importance. Mais d’où viennent les histoires ? Comment capter le souffle inspirant permettant à l’oralité de transcender cet état pour devenir, pour être, et finalement pour se fonder rigoureusement en expression écrite ?

Inventer sa vie, avec sa langue, c’est un peu comme vivre en code. De simples instants, des besoins, des émotions, des perceptions, des vestiges, dont on a perdu tout souvenir ; Suzanne Jacob ne s’éparpille jamais. « Je me parle », écrit-elle. « Je suis moi . Ma vie est entièrement moi et je suis entièrement toute ma vie : je suis entièrement « je suis ». Tout le processus de l’activité narrative est ainsi exprimé, avec force, détails, et précision, dans cet étonnant essai. Consciemment, le chemin est exigeant, et c’est lors de la préparation d’un cours universitaire en « création littéraire » que l’auteure, alors admise en résidence d’écrivain à l’Université d’Ottawa, a dû faire le point, sans faux fuyant. Ainsi, « il n’y pas de situations ordinaires pour l’appareil narratif », explique t’elle. Tout est dramatique, chargé de merveilles ; la mémoire bricole cela, pour faire affluer des histoires. Écrire, c’est un peu comme créer le monde, et rendre des comptes à la conscience.

La cartographie des territoires du moi, difficile à établir, se décline, différemment pour chacun. Ainsi, le lecteur ne voit pas le même arbre, le même personnage, selon ses propres références. Tout cela constitue la rencontre intérieure, unique, entre chaque lecteur et le livre. On peut se demander : « Qu’est-ce que l’auteur a voulu dire »? On peut chercher le présent sous l’appareil métaphorique, et ne trouver au final que l’absence. C’est étrange un texte. C’est toujours un paradoxe vivant. Comme Léo Ferré chantant l’amour difficile, suicidé, et en même temps tellement rempli de vie qu’on le sait apte à tous les recommencements.

Le lecteur fantasme, il cherche son reflet, le mystère l’attire, c’est comme ça, depuis la nuit des temps. Ainsi, Suzanne Jacob nous oblige à faire un petit effort, une fois de plus. Je ne sais pas exactement pourquoi elle me fait penser à l’écrivaine Virginia Wolf : c’est vrai qu’elles se posent toutes les deux en contradiction face aux grilles d’analyse littéraire, et c’est ainsi qu’on les aime : elles n’offrent pas de vérités, parce qu’elles luttent précisément contre ce fait : avaler tout rond des « vérités » que tout le monde cherche à imposer, plus ou moins subtilement.