The Métropolitain

Notre politique linguistique: Une vache sacrée, une bête noire (DATE DE PARUTION 10 JUILLET 2008)

Par Julius Grey le 18 juin 2009

Manifestement injuste et exagérée lors de sa promulgation en 1977, la loi 101 a été modifiée et améliorée à tous les niveaux des cours de justice, y compris celles des Nations unies, ainsi que par le législateur. Devant la nécessité inébranlable de protéger et de promouvoir la langue française, et le besoin aussi impérieux de respecter les limites de la démocratie libérale et de préserver une place honorable pour la partie anglaise de notre héritage, cette loi, telle qu’amendée, constitue un compromis raisonnable, même si on peut continuer à discuter de certains détails et de son application.

Ce qui devrait nous assombrir n’est donc pas notre politique linguistique comme telle, mais l’aspect symbolique et même mythologique de la loi 101. En effet, les chevaliers de la langue des deux côtés semblent avoir réussi à transformer une loi relativement équilibrée en cheval de bataille: dans le cas des francophones, en vache sacrée, et dans le cas de leurs analogues anglophones, en bête noire. Ces deux fausses perceptions creusent un fossé entre les citoyens.

Prenons les francophones d’abord. Les chevaliers de la langue française ont fait preuve d’une facilité troublante à convaincre la majorité que la loi 101 constitue un grand sommet parmi les acquis de la Révolution tranquille. En semant un peu de confusion entre la loi de 1977 et celle d’aujourd’hui, ils ont propagé la légende du charcutage juridique de la loi au détriment de la majorité.

Le slogan « Ne touchez pas à la loi 101 » est donc devenu un outil puissant pour rallier les citoyens et pour substituer une loyauté collective à une analyse que chacun devrait entreprendre des dispositions actuellement en vigueur. Les chevaliers francophones refusent de commenter les motifs qui ont amené pratiquement tous ceux qui ont étudié la loi de 1977 de l’extérieur du Québec à la condamner. Ils se cachent derrière une autre idée fixe, celle de « la minorité la mieux traitée au monde », pour rejeter toutes les revendications et plaintes des anglophones du revers de la main.

Finalement, plusieurs d’entre eux proposent un retour aux dispositions de 1977, ce qui serait à la fois une honte et un désastre puisque les injustices envers les francophones, qui pouvaient servir d’excuse sinon de justification en 1977, ont complètement disparu.

Moins efficaces, les chevaliers anglophones ont néanmoins eu beaucoup de succès également et, grâce à leurs efforts, la loi 101 a pris les allures d’un épouvantail pour une partie importante de la population. Pour eux, cette loi est un cauchemar et une explication de toutes les difficultés que les anglophones ont vécues depuis 1977, y compris la saignée qui leur a coûté le tiers de leur nombre.

Les chevaliers anglophones font abstraction de l’histoire du Québec d’avant la Révolution tranquille et des injustices économiques et sociales que la majorité se devait de corriger. Ils mettent l’accent sur les aspects coercitifs de la loi pour conclure qu‘il s’agit d’un instrument fait dans le seul but d’opprimer la minorité, oubliant ainsi les buts avoués d’intégration et donc d’élimination des frontières et des barrières.

 Finalement, ils font appel à un concept faux et trompeur d’égalité hors contexte qui rallie les troupes autour d’une vision dogmatique et formaliste et qui cache la complexité des défis linguistiques du Québec entouré par la culture nord-américaine. En d’autres termes, ils confondent la notion de traitement identique avec celle de traitement égal et ferment les yeux quant aux conséquences que ce type d’égalité aurait pour l’avenir du français.

Les succès des chevaliers masquent la réalité d’un consensus très général. Malgré l’appui massif pour la loi 101 en tant que symbole, les sondages, plus subtils, montrent que la grande majorité des francophones se range du côté de l’affichage bilingue, l’accès libre à l’école anglaise pour ceux qui se qualifient pour la clause Canada ainsi que pour une attitude libérale et ouverte en matière de santé et de justice. Au même titre, la grande majorité des anglophones reconnaissent la nécessité de protéger le français et de réglementer l’accès à l’école anglaise malgré leur répugnance instinctive pour le symbolisme de la loi 101.

Il serait naïf de conclure que les deux groupes veulent exactement la même chose, mais 1e fossé entre eux n’est pas trop profond, les communautés sont loin d’être étanches et, n’eût été des chevaliers, une paix linguistique aurait dû être établie depuis longtemps.

Par ailleurs, les deux factions des chevaliers s’efforcent d’attribuer à la loi 101 les immenses effets sociaux qu’elle n’a pas pu avoir. D’une part, le rôle du français dans le secteur privé s’améliore constamment depuis 1960. Après 1970, il était de notoriété publique qu’il fallait parler français pour réussir au Québec. De plus, le gouvernement du Québec était déjà unilingue français bien avant 1977.

En 1974, la loi 22 avait stipulé que le français devenait désormais la langue officielle, et en beaucoup d’éléments, notamment en matière d’affichage, la protection du français, sous son régime, ressemblait beaucoup à l’état actuel des choses.

Il est donc faux de prétendre que l’égalité et la dignité des francophones sont le résultat direct de la loi 101. Au contraire, il s’agissait d’un processus historique de longue durée, dont la loi 101, telle que rédigée en 1977, était un épisode peu glorieux. C’est la Révolution tranquille qu’il faut fêter et non pas la loi 101.

Il est aussi faux d’attribuer à la loi 101 un effet dévastateur sur la minorité. L’exode avait commencé plusieurs années auparavant et il s’explique mieux par un autre phénomène. Partout au Canada, les années 60 et 70 étaient une époque d’expansion dans le secteur public, et plusieurs des meilleurs emplois pour les jeunes se trouvaient effectivement dans ce secteur. Or, le Québec excluait systématiquement les membres de la minorité et cette politique était à son apogée sous le premier gouvernement dé Robert Bourassa, entre 1970 et 1976. Peut-on blâmer surtout la loi 101 pour l’exode quand il existe une explication beaucoup plus convaincante?

Il faut ajouter que la loi 101 n’était pas non plus responsable pour toutes les difficultés vécues par les anglophones depuis son entrée en vigueur. Faut-il rappeler encore les contestations juridiques qui ont réussi, l’adoption de la loi 86 et l’augmentation salutaire du taux de bilinguisme parmi les anglophones? L’adaptation à la loi 101 amendée est un fait accompli et la source de l’inquiétude des anglophones est ailleurs.

En réalité, la grande partie du problème se situe au plan de l’aliénation. Les Anglo-québécois se sentent exclus de la vie publique et ils considèrent, à tort ou à raison, que leurs opinions et leurs aspirations ne comptent pas au Québec. La première version très mesquine de la loi 101 a provoqué le réveil justifié des anglophones qui, auparavant, avaient accepté la francisation de bon gré.

Aujourd’hui, les prétentions des deux groupes de chevaliers aggravent le fossé entre citoyens et nuisent à l’un des principaux buts de la loi 101— l’intégration et la création d’une solidarité sociale. Même si la loi 101 n’a pas besoin d’amendements majeurs, il est urgent de déclencher sans délai un processus majeur de démystification.