La question n’a aucune importance, mais elle est souvent posée de diverses manières qui se ressemblent toutes : quelle différence y a-t-il entre la droite et la gauche ? Telle mesure proposée par tel parti, par tel groupe de pression, tel penseur, doit-elle être classée à droite ou à gauche ? De quel bord de l’éventail situer, par exemple, le manifeste des Lucides, la réplique des Solidaires, le rapport Monmarquette, Bouchard-Taylor ? Hors le sexe de l’individu concerné, comment distinguer un homme de droite d’une femme de gauche, une femme de droite d’un homme de gauche ? Toujours la même question stérile, que quelques événements récents ont ramenée sur tapis. Vous me pardonnerez de la traiter ici avec quelque légèreté.
Ainsi nous pouvons nous demander si l’Action démocratique du Québec s’éloignera de la droite pour se rapprocher du centre après le départ de Mario Dumont ; si François Legault représentait vraiment la droite du Parti québécois ; si le PQ renouera après son départ avec une soi-disant tradition social-démocrate — qui n’a d’ailleurs jamais existé sous nos cieux cléments (1) ; si le parti libéral de Jean Charest bifurque vers la gauche en renonçant à une « réingénierie » de l’État qu’il avait inscrite à son programme il y a quelques années ; si les jeunes libéraux, qui viennent de proposer des hausses de tarifs destinées à contrer les déficits budgétaires de l’État, entraînent leur parti vers la gauche ou vers la droite.
À toutes ces questions complètement idiotes le lecteur sensé répondra que la seule chose qui compte lorsqu’un problème se pose, c’est que la mesure adoptée soit de nature à améliorer la situation. Que les solutions viennent de la gauche ou de la droite, d’en haut ou d’en bas, on s’en balance, pourvu que ça marche ! Tout à fait d’accord, mais je vous trouve bien sérieux.
Il en va avec les opinions générales, avec les goûts musicaux, avec les choix vestimentaires, avec l’orientation sexuelle, comme il en va avec la religion, la philosophie, l’idéologie, la politique. Il est impossible d’occuper en ces domaines quelque position que ce soit sans que quelque importun ne vienne vous caser à droite ou à gauche. Ainsi, on vous dira de gauche si vous trouvez normal d’attendre pendant des mois une consultation avec un médecin spécialiste, de droite si vous êtes prêt à débourser pour subir une échographie de l’épaule dans des délais raisonnables (j’ai vécu l’expérience). Si vous allez à la messe, vous êtes de droite ; si vous crachez sur le pape, vous êtes de gauche. À droite les lecteurs de La Presse, à gauche les lecteurs du Devoir. Si vous mangez de la viande, vous êtes de droite ; si vous êtes animaliste, vous êtes de gauche — mais Hitler était végétarien, Staline carnivore. Si vous vous enduisez de deet pour vous protéger des moustiques, vous êtes décidément à droite ; si vous utilisez plutôt de la citronnelle, vous êtes clairement à gauche. Si par ailleurs vous n’utilisez aucun de ces deux produits, il y a de fortes chances que vous soyez un extrémiste (de gauche ou de droite, peu importe). Par voie de conséquence, le tue-mouche est de droite ; le moustiquaire déchiré, de gauche. De gauche qui utilise de la crème solaire, de droite qui attrape un coup de soleil. De droite qui conduit une BMW, de gauche qui roule à vélo ou prend l’autobus. À droite la cravate, à gauche le col roulé. À droite les boute-en- train, à gauche les maussades ; mais à droite le Mossad, à gauche le Hamas. J’en conviens, ma boussole est complètement déréglée.
Plus cocasse encore, bien des gens sont à la fois de droite et de gauche. La plupart des pro-vie sont pour la peine de mort, la plupart des pro-choix sont contre. Mais il y a des exceptions. Je connais un hurluberlu qui est à la fois contre l’avortement et contre la peine de mort, un autre qui est pour l’avortement et pour la peine de mort. J’ai rencontré un étudiant en génie qui ne connaît ni Bach, ni Mozart, ni Beethoven. Aucun rapport ? Détrompez-vous ! Le même énergumène est en faveur d’un meilleur financement des universités mais rue dans les brancards quand quelqu’un ose proposer une augmentation des frais de scolarité.
(1) Je l’écrivais il y a un peu plus d’un an dans mon premier Brasse-camarade : il n’y a jamais eu au Québec, ni en théorie ni en pratique, de social-démocratie. L’État-providence et la social-démocratie, ce n’est pas la même chose.
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