C’est l’histoire d’une petite bijouterie de quartier. Le spectacle quotidien des commerçants, celui des gens de la rue. J’écris cet article par solidarité à tous les artistes, qui travaillent durement, et souvent sans reconnaissance digne de ce nom. Le printemps est revenu sur Saint-Denis. Une rue pas comme les autres. Nous sommes à Montréal. Le parfum des lilas n’a pas encore envahi la ville. Mais ça s’en vient…
Il y a tout d’abord cette femme, propriétaire de la bijouterie, en qui se retrouvent toutes les femmes. C’est avant tout une sentimentale, une artiste, on l’imagine d’abord intellectuelle à Paris (peut-être l’a-t’elle été); puis, il y a autre chose, il y a plus : tous ces bijoux, là, partout, flamboyants, immenses, épousant tout l’espace. En effet, pénétrer à l’intérieur de chez OZ Bijoux, c’est presque du bovarysme. Ontransperce l’indifférence générale pour imaginer le vrai mystère de la femme au-travers ces pièces multi facettes, uniques au monde. Difficile de ne pas céder, un tant soit peu, à l’attirance des métaux, sculptés d’or rose, blanc, jaune, avec des perles (beaucoup de perles), et de pierres précieuses. C’est un peu comme un spectacle : Goethe parlait de l’enfant, qui y est comme la femme, lorsque celle-ci cède aux voix secrètes, notamment à l’appel de cette voix inaudible à tous, sauf à elle-même. En effet, à l’intérieur de chaque être humain existe une région obscure, faite de rêves et de besoins inassouvis, parce qu’inassouvissables. De cette manière, dans sa vision absolutiste, Goethe a révélé qu’ainsi, la femme, livrée à elle-même, ne peut satisfaire ses élans que dans la mort. L’enfant, comme la femme, entends cette voix : celle de la mort. Son père, fendant l’air sur son cheval, et emporté par les mouvements de sa propre vie, n’entends rien. C’est le thème du Roi des aulnes, célèbre classique de Goethe, et dont les bijoux de chez OZ n’échappent pas, tant ceux-ci sont exceptionnels, fantastiques, étonnants, ciselés comme à l’extrême limite de toutes les limites; à la fois simples et complexes, reflets de « la vie multiforme, absurde et passionnante », pour reprendre les mots du poète. En somme, impossible d’y demeurer indifférents, vous aussi serez happés par ces passionnantes collections. Vous aussi, aurez envie de toucher, de cerner comme un cœur, ce diamant extraordinaire. Somme toute, tout cela est assez évanescent, et bien que je n’y sois pas allée depuis des jours, j’y pense souvent, et surtout à ce qui anime l’artiste, tandis qu’il crée ses œuvres, ce qui se passe lorsque lui-même devient le prolongement de l’objet; sent-il alors un grand bonheur l’envahir ? Comment lui vient l’inspiration : un souffle venu de l’intérieur ? Vous serez nombreux également à vous poser ces questions, car tant de médiocrité effraie dans ce monde que devant la beauté, la vraie beauté, nous sommes consternés, nous cherchons àcomprendre d’où cela vient exactement; nous ne voulons pas que la réalité nous échappe. Ainsi, l’art précise les contours de nos actions, se heurte aux questionnements de la vie, et finalement souffre à notre place. D’une certaine manière, voilà tout le travail de l’artiste : susciter l’imagination, sauver l’Hommede la médiocrité, et recréer symboliquement la femme d’aujourd’hui, à travers toutes celles d’hier, et celles qui hantent, à jamais, les pages de nos romans, de nos souvenirs, de nos rendez-vous manqués, etportent en cela nos plus grandes espérances, pour un monde meilleur.
Les fées parlent
Mais il y a autre chose : la fidélité de la clientèle de OZ Bijoux, qui ne se dément pas, et cela depuis plus de 25 ans. Avant tout, elle se compose de femmes, d’artistes, de futurs mariés, de poètes, des collectionneurs. Puis, elle se décline en gens de la rue, des passants, qui ne cessent de témoigner sonappréciation au sujet des œuvres, toutes plus belles les unes que les autres ! En effet, difficile de résister, de choisir, … « mon mari, ça fait quatre fois que je l’épouse », raconte une cliente verbo-motrice, un tantinet excentrique, trop heureuse de recevoir chaque fois la bague de ses rêves. « Ça vous paraît comique ? Vous ne me croyez pas ? », ajoute- t’elle, avant d’exhiber ses mains remplies des baguesglorieuses. On ne peut s’empêcher de la regarder droit dans les yeux. À quoi bon demander pourquoi … Explique- t’on la magie ! De plus, ces rencontres ont lieu à l’occasion de lancements, de vernissages,organisés directement dans l’atelier de la bijouterie, afin de partager des anecdotes savoureuses, des impressions, et des commentaires sur les toutes dernières créations. Ainsi, il vient des gens de partout;outre les journalistes, il y a beaucoup d’amis, de parents, des inconditionnels. C’est également l’occasion, pour ceux aimant les bijoux OZ, de faire connaissance, de fraterniser, de se retrouver; ce n’est pas un univers entièrement féminin, c’est avant tout un lieu de passage, un refuge urbain de beauté pour tous lesgens aimant les œuvres d’art. Ainsi, toutes sortes de milieux différents se retrouvent liés, en parallèle ; de cette manière, une place concrète à l’art urbain s’invente, également de par une sorte de tendresse dans les échanges, parce que tous ceux et celles possédant un bijou OZ a une petite histoire personnelle à raconter, et fait ainsi partie de la famille. Oui, cela est nécessaire, parce que tout change; la ville n’est plus la même. Par exemple, face à la porte d’entrée de la bijouterie, et cela depuis presque deux ans, tous les samedis après-midi, -beau temps mauvais temps-, il y a des manifestants qui font le pied de grue sur le trottoir. Et cela, parce qu’à la boutique d’à côté, on vend des chaussures fabriquée en Israël. Oui, oui, on parle d’apartheid, en 2012, en pleine rue St-Denis, et cela au meilleur moment de la semaine pour les commerçants montréalais. On pourrait en rire, bien sûr, si au moins c’était drôle. Or, ce n’est pas une scène de théâtre de rue, ou un mauvais vaudeville. Les PAJUS (Palestiniens et Juifs Unis) parlent mêmedu projet, à plus long terme, d’épurer la rue St-Denis, de tous produits de marque israélienne, allant jusqu’à déborder devant sa devanture, qui est située, comme pour faire exprès, dans un demi sous-sol.Ainsi, plus personne, ou presque, n’entre maintenant dans la bijouterie, notamment les samedis, entre 13heures et 15heures. Allez-y faire un tour, et vous comprendrez bien le sentiment d’oppression : il arrive de se sentir comme un animal coincé, explique la propriétaire, lasse de toute cette histoire. Ce n’est pas en vain qu’au plus fort de la tempête, elle a senti le découragement, puis la colère monter, avec sa petite équipe constituée de créateurs allumés travaillant à l’atelier: « c’est ma plus belle clientèle que je perds, tous les samedis après-midis, à cause d’eux », résume t’elle. En effet, ces jours-là, se sont les promenadesdes couples, ceux qui font les boutiques, les amants main dans la main, ceux qui ont tout leur temps, ceux qui vont se marier, et viennent la voir pour choisir un bijou très spécial. Bref, à voir sa mine déconfite, on aurait envie de la prendre dans ses bras et l’embrasser !
Pourquoi je vous écris tout cela ? Parce que OZ Bijoux est un joyau de nos quartiers. C’est plus qu’une simple bijouterie, c’est un lieu unique en son genre à Montréal. Ce doux commerce ressemble au bonheur. C’est un espace nécessaire à notre œuvre urbaine, à toutes et à tous, un lieu culturel riche de beauté, de personnalité, d’art, de simplicité, dans un dosage subtil de pudeur et de témérité : la boutique se divise en deux, avec l’atelier tout au fond, ce qui invite aux conseils et aux confidences. En effet, choisir un bijou relève de l’intime; c’est une voix singulière, en même temps que porteuse d’un morceau d’universel. Bref, ce qui se passe actuellement sur la rue St-Denis, à Montréal, est plus qu’une tentative d’énervement, mais bel et bien une aliénation de la liberté, de la dignité, et de la liberté de commerce. Le désir également de dire que les humains, en général, rêvent mal la vie et qu’il arrive trop souvent que chacun soit attrapé par les mêmes leurres; en somme, c’est un bonheur, un tout petit bonheur dont je vous parle, mais voyez ce qui arrive lorsque chacun, chacune, avec le cœur, l’esprit et la lucidité – ce qui n’exclut pas d’être traversés par le doute- ne résistent pas devant l’orgueil du pouvoir, de ces arrivistes prêts à tout, même s’il faille pour cela nuire à la liberté de commerce de toute une rue, définition indirecte de la saga actuelle. Pourtant, le printemps revient, et les lilas refleurissent toujours. La vie est plus forte :tout le monde sait de quoi je parle. Le poids de la beauté, c’est surtout cela qu’il ne faut pas oublier, investit tout. Je ne parle pas de militantisme, ni de politique. J’adore les artistes : ce sont des gens merveilleux ! Allez visiter ceux de chez OZ Bijoux, c’est un devoir citoyen, assurément, mais égalementl’histoire d’une révolte. Ne soyez pas surpris d’y voir la transcription de la femme, échappée, comme pour nous montrer des brèches, pour mieux nous faire pénétrer son univers, véritable archéologie des métaux. En effet, le discours chez OZ Bijoux est intraduisible pour l’œil ordinaire. Au bout du travail des fouilles, il y a toujours l’imaginaire, qui aura enfin le droit de passage. Ainsi, OZ, on l’épelle, onl’explique par ses richesses étalées, fascinantes, ardentes, romantiques, inoubliables. Vous aussi serez conquis, conquises, éternellement.
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