Même si certains médias (dont le journaliste Brian Hutchinson dans le National Post du 18 décembre 2004) en ont parfois fait état, peu de gens au pays savent que la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) applique depuis plusieurs années des tactiques policières qui relèvent purement de la fabrication de preuves et dont plusieurs parmi nos concitoyens ont été les innocentes victimes.
La GRC s’est en effet spécialisée dans un type bien douteux d’opération, dont le seul et unique but consiste, lorsque les preuves matérielles et/ou circonstancielles s’avèrent absentes ou déficientes, à forcer sous la menace des suspects à « avouer » avoir commis un crime violent. Le fait que la personne ciblée soit réellement coupable ou non n’importe nullement aux yeux des agents de la GRC concernés : dès qu’ils obtiennent, enregistrée sur une bande vidéo à l’insu de leur cible, les « aveux » qui consistent en le seul et unique but de ce type d’opération, ils ont obtenu leur « coupable ». La bande vidéo est présentée devant un jury, et celui-ci, persuadé par une preuve aussi convaincante en apparence, déclarent l’accusé coupable. Case closed.
Cette méthode, plaisamment baptisée par la GRC « Opération Mr. Big », s’avère d’ailleurs très efficace : la plupart du temps, les jurys émettent un verdict de culpabilité après avoir visionné une vidéo du prétendu passage aux « aveux » des accusés. Mais, dans l’esprit de celui qui passe ainsi aux « aveux », ce n’est pas à des policiers reconnus comme tels qu’il « avoue », mais plutôt à des agents doubles de la GRC jouant le rôle de caïds du crime organisé et qui, après avoir contraint l’individu ciblé à commettre des actes criminels, lui font comprendre que s’il ne se montre pas « coopératif » en leur confiant qu’il est l’auteur du crime dont il est soupçonné, ils prendront « soin » de lui à la manière dont la pègre s’occupe des cas peu fiables. Il s’agit d’un genre de sous-entendu qui est assez explicite pour être dépourvu de toute ambiguïté.
Grâce à l’opération « Mr. Big », des innocents ont été injustement condamnés. Par exemple, Kyle Unger et Timothy Houlahan qui, en 1993 au Manitoba, ont été condamnés à la prison à vie suite à une sordide affaire de viol et meurtre, et cela après avoir passé aux «aveux» devant des agents de la GRC qu’ils croyaient être des trafiquants de drogue. Mais en 2004, une analyse d’ADN a démontré hors de tout doute qu’ils étaient innocents. Pour Kyle Unger, ce fut une très bonne nouvelle. Mais concernant Timothy Houlahan, il y avait un gros problème : il s’est suicidé en 1994. Le cas de ces deux jeunes hommes est loin d’être unique.
Cette même « Opération Mr. Big » de la GRC a également rendu possible la condamnation à la prison à vie, aux États-Unis, de Sebastian Burns et Atif Rafay, deux jeunes Canadiens injustement accusés d’avoir tué les parents et la sœur d’Atif (les Rafay étaient d’origine pakistano-canadienne et résidait dans la région de Seattle depuis deux ans). Burns et Rafay étaient eux aussi passés aux « aveux » devant de prétendus caïds personnifiés par des agents de la GRC, lesquels agissaient pour le compte de la police américaine. L’ensemble de la preuve matérielle et circonstancielle disculpait pourtant entièrement les deux jeunes hommes, mais lors du procès tenu à Seattle en 2004, la présentation d’une vidéo des « aveux » avait su convaincre les jurés de les déclarer coupables.
De fait, Atif Rafay et Sebastian Burns, qui avaient seulement 19 ans au moment où ils étaient soumis à ces méthodes profondément révoltantes de la GRC, étaient passés aux « aveux » dans des circonstances telles que n’importe qui, même votre grand-mère la plus tendre, aurait avoué avoir commis les crimes les plus abominables. Un site web présente d’ailleurs tous les détails de l’opération « Mr. Big » utilisée contre Burns et Rafay, dont l’orchestration est bien typique des autres causes où « Mr. Big » a été employé : www.rafayburnsappeal.com/. Mais soyez prévenus : si vous décidez de visiter ce site (qui est bilingue), vous avez intérêt à vous trouver bien assis sur votre chaise, car ce qui y est dévoilé est tout simplement renversant et démontre clairement que MM. Burns et Rafay craignaient réellement pour leur vie s’ils ne « confessaient » pas avoir commis ce crime aux pseudo-gangsters de haut calibre qui n’étaient nuls autres que deux agents de la GRC.
De plus, un documentaire fort éclairant a été dédié à ces mêmes tactiques de la GRC. Sorti sur les grands écrans il y a quelques mois, Mr. Big, The Movie ( www.mrbigthemovie.com ) présente de manière saisissante tous les faits relatifs non seulement à la cause Burns et Rafay, mais aussi aux causes de nombreuses autres victimes innocentes de ces méthodes dignes de la Gestapo mais appliquées par la police fédérale du Canada, un pays qui, pourtant, aime bien se faire valoir sur la scène internationale pour sa fameuse Charte des droits et libertés.
Un autre fait est également à souligner dans l’affaire Burns-Rafay. Les deux agents de la GRC, Al Haslett et Gary Shinkaruk, qui ont joué les criminels endurcis pour contraindre Sebastien Burns et Atif Rafay à avouer avoir perpétré des meurtres qu’ils n’ont pas commis, sont même allés jusqu’à se permettre de fouiller dans les cellules des deux accusés à la prison de Seattle, et cela tandis que le procès était encore en marche. Ainsi, ces deux témoins vedettes de la poursuite ont pu, durant le procès même, avoir accès au courrier et aux documents personnels des accusés, y compris ceux, censés être confidentiels, provenant des avocats de la défense. Évidemment, les deux types de la GRC furent alors fort surpris de voir leur manœuvre sortir au grand jour grâce à un concours de circonstances purement hasardeux, mais ceci démontre à quel point, chez certains à la GRC, tout semble permis, même la tricherie, sinon l’illégalité la plus flagrante.
Devant de tels faits, on peut se demander sérieusement si la justice est bien servie au Canada lorsque la police fédérale s’autorise à de telles méthodes qui se révèlent gravement coercitives et faites pour forcer des « aveux » à tout prix, et qui en plus bafouent effrontément les valeurs dont le Canada se targue souvent en matière de droits humains et de probité et transparence de la justice. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a quelque chose de vraiment pourri au royaume de la GRC, et qu’un ménage vigoureux et complet s’impose, du moins si l’on tient à ce qu’au Canada la justice fasse tout ce qu’elle peut pour éviter de faire condamner des innocents.
Mais jusqu’à présent (et malgré le fait que, comme on peut le constater sur le site web dédié à l’affaire Burns-Rafay, certains médias, dont le National Post, se soient intéressés au dossier), le cri public ne s’est guère fait entendre pour dénoncer l’application de ces tactiques qui se sont pourtant révélées profondément injustes et qui ont détruit la vie de tellement d’innocents et de leurs proches, ni pour exiger du gouvernement fédéral qu’il en interdise formellement l’usage. Le fait aussi que la GRC ait du sang sur les mains, comme dans le cas (qui n’est pas unique) de l’affaire Unger-Houlahan au Manitoba, ne semble pas non plus déranger grand monde. Pourtant les faits sont là, éloquents et criants, à la portée de chacun.
Il est à espérer que ce silence devienne rapidement chose du passé, car tant et aussi longtemps que la police fédérale pourra se permettre, en toute impunité et dans le secret le plus absolu, de défigurer ainsi notre système de justice, n’importe qui au Canada (comme s’en est d’ailleurs vanté le sergent Al Haslett durant la tenue du procès Burns-Rafay), peut se retrouver ainsi piégé et devenir la victime d’un véritable déni de justice.
En attendant, deux de nos compatriotes, Sebastien Burns et Atif Rafay, emprisonnés depuis plus de 13 ans déjà, croupissent dans deux prisons de l’État de Washington, dans l’attente que d’interminables procédures d’appel puissent enfin faire la preuve de leur innocence.
En guise de conclusion à ce premier de deux articles consacrés à l’affaire Burns-Rafay, il peut valoir la peine de méditer le sens de cette maxime de d’Holbach, ce grand philosophe des Lumières dont les œuvres sont, encore aujourd’hui, susceptibles d’éclairer la conscience de ceux et celles pour qui la raison et la justice restent des valeurs fondamentales :
« Tout homme qui n’est point alarmé d’une injustice faite au plus obscur de ses concitoyens est un imbécile qui ne mérite lui-même que les fers.»
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