Elle : « Pourquoi ? »
Lui : « Parce que c’est comme ça. »
Jo Légaré a connu une histoire d’amour avec le peintre Guildo Molinari, cet artiste en arts visuels de grand talent dont l’œuvre est trop peu connue. Jo Légaré parle en prose dans ce récit autobiographique. Un récit bien écrit donne toujours l’impression d’être autobiographique. Et puisque c’est d’amour dont il est ici question, les banalités y sont, comme de la musique, poignantes.
Les mots sauvages continuent à couler dans les souvenirs, longtemps après avoir refermé le livre. Effectivement, on se sent tous concernés, l’amour étant à l’existence ce que les mots sont au poème. « La littérature pour moi, c’est le merveilleux », disait un romancier dont j’oublie malheureusement le nom. En effet, il serait facile de sublimer ici, tant à partir des mots et des images, les rôles féminins et masculins se faisant tour à tour force et beauté. Bref, ils coucheront ensemble et ils seront heureux.
Extérieurement, l’œuvre paraît simple. Dans les faits, tout est lourd d’amour et de poésie, magnifiquement complexe, fragile, dans une capacité à refléter le quotidien, de le décrire fidèlement, dans des fragments délicats, dans des morceaux choisis par l’auteure, comme autant de trésors à partager. Jo Légaré, ce n’est pas tout à fait la voix d’une muse. L’auteure n’est ni reine, ni dame ; elle n’a pas besoin de frontières. Tout simplement, elle est elle. Et c’est avec une tendresse humaine qu’elle et lui ont été profondément amoureux. Elle l’a accompagné toute une vie, durant trois ans, de la rencontre initiale jusqu’à son dernier souffle dans ce lit d’hôpital. Des années entières à aimer entièrement cet homme, dans le tout et ses parties. Elle n’en est jamais revenue. Fallait s’y attendre.
Pourtant, celui qui a fait le bonheur de Jo Légaré, Guildo Molinaro, est un peintre aussi vieux que sa grand-mère. Le jour où elle l’a rencontré, il regardait des dessins de Dora Maar, la muse de Picasso. Il s’arrêtait longuement sur chacun d’eux. Spontanément, il a fait le professeur, le philosophe sauvage. Elle fut étonnée. Il avait une tête de popcorn. Et il était vieux. Très vieux. Une manière à lui d’occuper tout l’espace. Un air vif. Il a plongé au cœur d’elle, l’auteure, comme la faim est avide et comme la mort guette. « Dans le trou du cœur gît un trou plus grand encore, un trou noir comme tu les aimes et la balance hésite entre vivre et mourir. »
Jo Légaré résume en une phrase définitive la mort de l’homme qu’elle aime : « Sa vie aura été un long été ». Tout au long, des descriptions extrêmement savoureuses, et surtout, là, entre les lignes, des choses très sérieuses, mises en lumière à larges traits, tantôt complétées par de petites touches de couleurs, comme si on y était, à l’intérieur des silences, dans le cœur du cœur des choses essentielles. En somme, l’auteure nos fait pénétrer à l’intérieur de tout cet amour. L’autre personnage, c’est lui. Il a la stature d’un acteur de cinéma. Nous avons connu cet homme, nous, toutes les femmes ; il était harmonieux, il était le vaste monde, et même quelque chose de plus grave encore, dans les mouvements des soirs en feu, « Il est bien vrai que tu m’as guérie. De moi. Mille fois merci. Mon Molinari, mon ami Molinari ».
Née en 1953, Jo (Jocelyne) Légaré a grandi à Montréal, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, entre Dézéry et Darling. Son grand-père, Alfred Dallaire, de l’entreprise funéraire du même nom, lui a légué une frousse bleue de la mort, qu’elle conjure en faisant du complexe funéraire à l’architecture étonnante, une galerie d’art et un lieu de création... Elle signe avec ce récit de 60 pages, Sans Titre, son deuxième livre. Elle a aussi réalisé deux documentaires : « La dernière conversation de Moli qui ? » et « Molinari l’énigme ».
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