À la défense de l'enseignement bilingue

Par Frédéric Hébert le 23 juin 2015

Il existe au Québec depuis bien des années une sorte d'apartheid linguistique au niveau de l'accès à l'éducation primaire publique bilingue. Il demeure anormale que seules les communautés d’expression anglaise du Québec ont accès à ce système d'enseignement, au détriment de la majorité d’expression française du Québec. Lorsque je parle d'écoles publiques bilingues, je fait spécifique référence aux écoles publiques anglaises qui offrent des programmes d'enseignement bilingues où le français occupe un temps de classe variant entre 50% et 90% de l'horaire régulier. L'accès à ces écoles reste évidemment le privilège des communautés d’expression anglaise du Québec.

Cette situation unique au monde est le résultat de l'application depuis 1977 des dispositions de la Charte de la langue française (loi 101) en matière de langue d'enseignement. À l'époque, ces dispositions étaient destinées à contrer la préférence des immigrants pour l’école anglophone au détriment de l’école francophone. L’accès aux écoles primaires et secondaires anglophones est donc réservé aux élèves dont les parents ont fréquenté l’école anglophone au Québec, ou ailleurs au Canada (depuis 1982 avec l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés). L'effet pervers de ces dispositions ont ainsi crées deux classes de citoyens : ceux possédant le droit d'envoyer leurs enfants à des établissements d'enseignement primaire offrant des cours dans les deux langues officielles du Canada, et ceux ayant uniquement le droit d'envoyer leurs enfants à des établissements primaires francophones où l'enseignement de l'anglais demeure minimal. Il ne s'agit dans ce cas-ci que de voir le refus du gouvernement en 2013 d'implanter une sixième année d’enseignement intensif de l’anglais dans les écoles primaires francophones du Québec.

Malgré le fait que la grande majorité des québécois de toutes origines aient maintenant intégré la plupart des dispositions de la loi 101 comme essentielles à la protection de la langue française au Québec, plusieurs milliers de parents au Québec considèrent que l'accès à des écoles publiques bilingues ne doit pas être uniquement l'apanage des anglophones du Québec. Ces parents reconnaissent l'importance de l'enseignement bilingue pour offrir un apprentissage suffisant des deux langues officielles, et une plus grande ouverture sur le monde et sur l'apprentissage du caractère pluraliste de la société québécoise. L'accès à une éducation bilingue en bas âge est non seulement réclamé par de plus en plus de parents de la majorité d’expression française du Québec, mais également par la très grande majorité de parents des communautés d’expression anglaise du Québec qui souhaitent que leurs enfants perfectionnent leur apprentissage du français.

En créant deux classes de citoyens, nous avons mis en place un système d'éducation au Québec où les communautés anglophones sont devenus au fils des ans les personnes ayant le plus haut niveau de bilinguisme au Canada, alors que les enfants de parents francophones et allophones au Québec n'ont pas accès à l'enseignement primaire bilingue. Ce phénomène crée donc une classe de citoyens, surtout en dehors de la grande région montréalaise, où des parents se voient dans l'obligation d'envoyer leurs enfants à grands frais dans des établissements privés bilingues. Dans les cas d'enfants de parents très riches, les écoles privées anglaises non-subventionnées dites « écoles passerelles » ont été utilisées afin de donner accès au bout d'un an au système d'éducation publique anglophone, suivant les dispositions de la loi 104 qui a été invalidée par la Cour suprême en 2009 au motif qu’elle ne respectait pas les garanties données dans la Charte canadienne des droits et libertés à l’égard des droits des communautés linguistiques en situation minoritaire. La loi 103 qui a suivi en 2010 restreint encore davantage l’accès aux écoles publiques anglophones offrant des programmes bilingues en obligeant l'élève à fréquenter pendant trois ans une école privée anglophone non subventionnée avant de pouvoir avoir accès à ces mêmes écoles publiques bilingues. La loi 103 devra cependant être soumise à une évaluation  afin de déterminer si elle cadre avec les dispositions de la Constitution et avec les décisions de la Cour suprême en matière d’éducation. 

La situation ne risque pas de s'améliorer de sitôt alors que les commissions scolaires anglophones sont en crise avec une réduction des inscriptions entre 1971 et 2006 de 248 000 à 108 000, en raison notamment des restrictions imposées par la loi 101. À l'inverse, les écoles primaires francophones manquent d'espace et des établissements scolaires anglophones sont converties en écoles francophones et de nouvelles écoles sont construites au sein des commissions scolaires francophones.

Outre le fait que le gouvernement ait refusé d'implanter une sixième année d’enseignement intensif de l’anglais dans les écoles primaires francophones, le niveau minimal de l'enseignement de l'anglais au sein des commissions scolaires francophones prend des proportions pour le moins étrange dans certains cas. Est-il normal que dans certains établissements francophones il n'est même pas permis d'offrir des cours d'anglais supplémentaires en dehors des heures régulières de cours, même payés par les parents intéressés? L'apprentissage de l'anglais devient-il une menace au point de l'interdire sous toutes ses formes hors des structures officielles?

Le Québec reste donc un cas unique où l'accès à l'école publique bilingue est interdit à la grande majorité de la population.

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