Le Québec vient d’aggraver son handicap, c’est-à-dire son éloignement du pouvoir par bloquistes interposés. Nous aurons donc un gouvernement minoritaire. Le troisième en quatre ans.
Cela ne s’était pas produit depuis les années soixante. Du 27 août 1962 au 23 avril 1968, soit pendant 1804 jours, le Canada fut en effet dirigé par trois gouvernements qui ne disposaient pas de la majorité en chambre. Nous en sommes maintenant rendus, avec ceux de Paul Martin et de Stephen Harper, à 1309 jours. À moins que les conservateurs soient renversés dans les dix-sept prochains mois, un record peu enviable sera bientôt battu.
Misère ! Il faudra bien qu’un jour nous élisions un gouvernement capable de gouverner. Pas n’importe lequel, bien sûr. Car nous pourrions avoir pire que les conservateurs
minoritaires. Rappelons-nous que la situation s’était dénouée à l’époque par l’arrivée d’un certain Pierre Elliott Trudeau à la tête du parti libéral. Je frémis à l’idée que le fils aîné du susdit ne saisisse un jour les rennes du parti que PET domina pendant tant d’années et que nous ne voyions surgir dans le paysage une version caricaturale de la trudeaumanie d’antan. Quelle catastrophe ce serait ! Heureusement, nous n’en sommes pas encore là.
« Le vote nous permet de choisir ce qui nous plaît, pas forcément ce dont nous avons besoin (1) ». Prenons acte aujourd’hui que c’est d’abord et avant tout le pouvoir de nuisance du Bloc québécois (dont je ne remets en cause ni la pertinence ni la légitimité, car en démocratie le peuple a toujours raison de se tromper), qui est la principale cause du cul-de-sac dans lequel nous nous sommes enfermés. La propagande manichéenne du Bloc québécois, qui visait à diaboliser Stephen Harper (qui voudrait soi-disant détruire la culture québécoise), a fonctionné à merveille, sauf dans DIX comtés-mystère qu’il faudra bien rééduquer avant les prochaines élections (je propose de confier cette mission au clown Pierre Falardeau).
Ce discours opposant la gentillesse de la gauche à la méchanceté de la droite a convaincu de nombreux fédéralistes. Il y avait en effet quelque raison de s’inquiéter des intentions cachées des conservateurs, dont la base réformiste a des visées rétrogrades. Pourtant, ce qui m’a davantage frappé dans la propagande bloquiste, c’est son caractère chauvin. Tous ont entendu et réentendu ce message où parmi une kyrielle de crimes commis contre le Québec, M. Harper était accusé de « maltraiter notre langue ». La belle affaire !
Le portrait de Harper en croquemitaine aurait dû porter au pouvoir les libéraux, seule alternative crédible aux conservateurs. Le parti libéral ne s’est pas relevé de ses malheureuses divisions internes. Affaibli presque partout au Canada, il n’est pas à la veille de pouvoir remplacer les conservateurs. C’est dommage.
La principale raison de mes regrets est cependant d’un tout autre ordre. Comme il eut été comique en effet d’entendre M. Duceppe répéter le 15 octobre ses tirades contre Stephen Harper en substituant simplement au nom de ce dernier celui de Stéphane Dion, qui, aux yeux des nationalistes, est l’homme de la Loi sur la clarté, c’est-à-dire un pire ennemi de la Nation que le chef conservateur.
Ce retour à la case départ, dont Stephen Harper est le premier responsable par ses maladresses tout au long de la campagne, ne nous mènera nulle part, sinon à d’autres
élections fédérales dans une couple d’années. Stéphane Dion aura alors été remplacé à la tête du parti libéral. J’ose espérer que ce ne sera point par qui vous savez. Au Québec, le parti libéral de Jean Charest formera depuis quelque mois un gouvernement majoritaire. Bien installé au gouvernail, M. Charest aura cessé de flirter avec le Bloc et de cajoler les nationalistes. Dégoûtés par la stagnation du PQ, ces derniers nourriront des mêmes sempiternelles récriminations le seul instrument qui leur restera disponible : le pouvoir de nuisance du Bloc québécois. Incapables de réaliser le pays rêvé, ils continueront de saboter le pays réel.
(1) Jean-François Revel Fin du siècle des ombres, p. 264.
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