Ils parlent tous du contexte… Le contexte dans lequel ils ont grandi, par exemple. « Très jeune, je voulais devenir écrivain », pour reprendre du même souffle : « l’école – c’est-à-dire la société -, ne semblait pas répondre à ce rêve ». Les multiples fois où j’ai entendu cette phrase… pour expliquer les nombreux manuscrits qui dorment là… qu’ils disent avoir ébauché, dans ce « monde pourri », cette « société poubelle », « cruelle », « fédéraliste ». En même temps qu’ils s’autoflagellent à qui mieux mieux, ils se la jouent au maximum, avec les habits du poète de service : un formalisme bête à pleurer, un pseudo marxisme tout droit sorti d’un taudis du 18e siècle ou d’un vieux loft sale du Plateau. Bref, tous plus guenillous les uns que les autres – on devine cependant la recherche poussée de ce look déjanté, pour prouver au monde actuel des vues propres sur l’actualité culturelle, un amalgame entre poésie et contexte socio-politique.
Pas forcément apathiques, capables de perfectionnisme, tel Gauguin qui, s’il peignait une toile qui n’était pas à sa convenance, en peignait une autre par-dessus , ils sont aussi capables de se glisser dans la peau d’un personnage réactionnaire, par exemple en imposant l’idée de l’indépendance du Québec comme étant LA solution à tous les maux imaginables. Ils sont d’ailleurs capables de gloser très longtemps sur ce même thème. De plus, pour garnir leurs imaginaires, ils sont capables d’insulter tout le monde ne partageant pas leurs idées, de voir des complots et des « idoles fédéralistes » partout, ou pire, d'aller chier sans remords sur une tombe illustre.
Les plus cyniques parmi eux ont fait un doctorat en « création littéraire » à l’université du coin, ce qui les amène à croire qu’il est légitime que cette éducation très poussée leur donne tous les droits de lèse-personne. Faut les voir brandir leur fausse humilité, qui se détache comme une sorte de hors d’œuvre du plat de bêtises qu’ils s’apprêtent à nous servir si – Oh infamie ! – nous avons des opinions politiques qui diffèrent des leurs, et si en plus nous avons le malheur d’aimer la langue française au point de ne pas forcément chercher à s’exprimer comme un ignare, et si aussi, voire qui plus est, nous n’avons pas de foulard qui vole au vent et le joint de pot dans les poches.
Je caricature, mais à peine. Nous sommes pris avec cette culture-là, au Québec. Tous l’observent, s’en attristent, mais peu en parlent, avant de se résigner devant la télévision, le dimanche soir. Le culte de nos vedettes, d’ailleurs, a de quoi laisser pantois. « Moi j’ai la chance de vivre dans mes rêves », me confiait un jour un écrivain extraordinaire, qui se situe bien au-dessus des questions politiques. Il est pourtant ostracisé par le clan dit des « vrais poètes et écrivains » – c’est-à-dire des écrivaillons nationalistes qui avaient vu en lui un drapeau à brûler à tout prix. On n’embrigade pas facilement les esprits libres et les artistes dignes de ce nom ne se laissent pas aisément domestiquer. Ils ne se sentent pas outrés si l’auteur ne leur raconte pas d’histoires lorsqu’ils achètent un roman, ils ne cherchent pas à tout prix à faire simple pour épater la galerie lorsqu’on parle de grand art, et, aussi, ils sont capables de recherche dans la langue, qui est un matériau vivant, plus que jamais international, qui évolue et qui commande une recherche d’ouverture à l’autre, par des créations vivantes, même si cela inclut des doutes et des contradictions.
Parfois, il me semble que les tenants de l’indépendance à tout prix sont d’un fanatisme désespérant. Comme s’il fallait que l’ensemble des œuvres publiées répondent à leurs goûts politiques exclusifs et excluant ceux qui ne pensent pas comme eux. Or, on le sait, le fanatisme est dans le continuum de l’obsession. Pourtant, même si on le tait trop souvent, le fanatisme cache des traits schizoïdes.
Si je vous confie tout ça, c’est parce qu’un poète est mort subitement à l’âge de 62 ans, au mois d’avril dernier. Il s’appelait Robbert Fortin et il était ; le directeur de « L’appel des mots », la section poésie de la maison d’édition L’Hexagone. Il avait lu mon manuscrit, dès mon arrivée à Montréal, et il m’avait aidée à orienter mes mots, à trouver la lumière. Il était pour moi une source d’inspiration, un ami, un phare dans la nuit. J’ignorais ses idées politiques et je n’ai jamais cherché à les découvrir.
Le lendemain de sa mort, j’exprime ma surprise et ma tristesse sur mon profil « Facebook », lequel profil regorge de poètes et d’artistes. Quelle ne fut pas ma stupeur de constater, après un échange de courriels, qu’un poète, qui a récemment gagné le prix Émile Nelligan pour son recueil, m’attaqua lâchement et explosa toute sa hargne sur mon compte. En effet, vu ce qu’il appelait mes « idoles fédéralistes », je n’avais tout simplement pas le droit d’avoir de la peine suite à la mort d’un poète que j’estimais. J’en suis restée estomaquée : mais qui était donc ce poète dont la sensibilité ne ressemblait, ni plus ni moins, qu’à de la barbarie, et de quel droit osait-t-il parler « idoles », moi qui ai toujours eu horreur des lécheux de bottes et autres petits chiens de poche sans personnalité . Non mais, on croit rêver, et puis non… Ce type de poètes, qui aiment se dire « poètes de brousse », existe bel et bien. Par le fait même, ils font exister une vision du monde où priment la médiocrité, l'intolérance et la haine. En réalité, ce type d’individu constitue une honte pour tous les poètes et les artistes dont la sensibilité puise sa source dans le respect et dans la dignité humaine.
Comme me revient en tête cette citation de Martin Luther King : « Une seule parcelle d’amour chasse l’obscurité », je sais, moi aussi, comme l’a si joliment écrit le poète Tony Tremblay, dont je ne cherche pas non plus à découvrir les opinions politiques : « Le jour où nous serons libres, vivants à l’intérieur d’un même poème, tous ensemble, ce jour-là, nous pourrons célébrer, sans chapelle des damnées, la vie ». La vie belle.
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