Affirmer que l’hostilité internationale face aux États-Unis fut forte au cours des dernières années relèverait de l’euphémisme. Ce phénomène multiforme a connu depuis la venue au pouvoir de pouvoir de l’administration Bush et, surtout, de l’invasion malheureuse de l’Irak, une immanquable virulence.
Dans certains cas, et particulièrement dans les milieux de la gauche altermondialiste et anticapitaliste, cette opposition ne se contenta pas de critiquer les décisions du gouvernement des États-Unis—chose parfaitement légitime—mais s’attaqua ouvertement à ces nombreux traits constitutifs de la société américaine (présence de la religion, individualisme, attachement au système capitaliste, nationalisme…) que la droite américaine semble particulièrement incarner.
Au Québec comme ailleurs, cette dernière posture s’est manifestée avec une telle régularité dans l’espace public ces dernières années qu’il serait futile autant d’en démontrer la preuve qu’en effectuer le recensement. Que Gil Courte-manche, chroniqueur d’un journal pourtant réputé tel Le Devoir, ait déjà pu écrire dans l’indifférence générale que la «société américaine est politiquement inculte et monolithique» est assez révélateur du phénomène.
Il n’est donc pas étonnant que parmi les nombreux effets suscités par les chances désormais très bonnes d’une victoire de Barack Obama en novembre prochain et, plus fondamentalement, de la fin possible de plus de quatre décennies de quasi-domination républicaine, notons ce qui semble être un enthousiasme peu commun pour l’actualité politique américaine venant de milieux et de gens ayant pourtant longtemps proclamé leur hostilité pour l’Amérique et le système politique la régissant.
On voit ainsi le journal français Le Monde, dont la ligne éditoriale et les reportages multiplient depuis longtemps les représentations péjoratives et simplistes sur les États-Unis, interpréter le phénomène Obama comme étant subitement une preuve que « la démocratie américaine n’est pas vouée à être confisquée par une classe politique étroite, financée par des lobbies ». L’activiste bien connue Jane Fonda, qui affirmait en 2003 que les USA n’étaient pas un pays libre en raison de l‘ignorance des ses citoyens, compte néanmoins participer au système démocratique « non libre » de son pays pour y appuyer le sénateur de l’Illinois. Même les socialistes latino-américains Daniel Ortega et Hugo Chavez, ce dernier ayant déjà affirmé en 2005 que «l’empire Nord-Américain est la plus grande menace à la vie sur la planète», ont récemment fait des déclarations qui indiquaient leur appui au candidat démocrate.
Partout dans le monde l’on voit ainsi des gens manifester leur support à un candidat dont le but sera pourtant d’être le premier dirigeant d’une société qu’ils honnissent ouvertement en temps normal. Si le phénomène avait déjà été observé lors de l’élection de Bill Clinton en 1992, son ampleur est ici sans précédent. Non seulement l’afro-américanité de Barack Obama fait de ce dernier l’expiateur des péchés passés de Amérique (esclavage, racisme), mais le candidat démocrate se voit incarner une multitude d’espoirs divers : changement radical dans la politique étrangère américaine, fin de l’influence des lobbies à Washington, retrait unilatéral d’Irak, mise sur pied d’un État-Providence américain sur les modèles européens, réduction du budget militaire américain…
Le problème est ici que ces espoirs risquent d’être rapidement déçus. Même advenant une victoire convaincante d’Obama accompagnée d’une augmentation de la majorité démocrate au Congrès en novembre, la réalité reprendra rapidement ses droits. Cette réalité est qu’un retrait trop précipité des troupes américaines d’Irak pourrait rapidement causer beaucoup plus de chaos qu’il n’en éliminerait, chose dont Obama lui-même est probablement fort conscient en dépit de ses promesses; que la politique étrangère américaine ne connaîtra probablement pas de bouleversement majeur, hormis bien sûr un certain retour vers le multilatéralisme (que même McCain endosse); qu’il sera virtuellement impossible d’éliminer l’influence des lobbies de la culture de Washington; et que l’extension de l’État-Providence américain, notamment l’universalité des soins de santé, sera une tâche difficile qui risque de prendre beaucoup de temps, et de ressources financières.
Ce désenchantement est déjà en branle, telle que l’illustre la récente chronique de Gil Courtemanche dans Le Devoir où l’auteur, avec sa condescendance antiaméricaine habituelle, critiquait le candidat démocrate pour son support à Israël et les compromis qu’il devra faire afin d’aller rejoindre ces « Blancs, ouvriers, sans éducation » de ces États—Ohio, Virginie ou Kentucky—où l’« on est sexiste, mais on l’est moins que racistes ». En somme, il est prévisible que ceux-là même qui investissent présentement Barack Obama de leurs fantasmes malveillants à l’égard d’une Amérique qu’ils ne détestent pas pour ce qu’elle fait, mais bien pour ce qu’elle est, se retournent rapidement contre leur présent héros en constatant que celui-ci, si élu, ne changera pas les dynamiques culturelles, politiques et écon-omiques constitutives des États-Unis.
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