Depuis longtemps déjà, un groupe de brutes épaisses fait partie du paysage idéologique québécois. Elles ont d’ailleurs encore fait parler d’elles ces dernières semaines : dans la nuit du 25 au 26 avril, elles ont profané la sépulture de l’ancien premier ministre Pierre Trudeau. Mais la souillure aura été double : les brutes épaisses ont aussi sali le nom de Louis-Joseph Papineau, qu’elles ont barbouillé sur le caveau de la famille Trudeau.
En détournant grossièrement le noble nom de Papineau au profit de leurs sinistres desseins, les brutes épaisses ont révélé leur ignorance crasse dans toute son ampleur. C’est que, tout au long de sa vie, Louis-Joseph Papineau aura démontré qu’il était foncièrement un libéral, un démocrate, un ennemi du despotisme, un libre-penseur qui luttait pour la primauté des libertés fondamentales. Papineau se situait à l’exact opposé du fanatisme ethnique, du totalitarisme et du crétinisme qui caractérisent les lâches auteurs de l’acte perpétré au cimetière de Saint-Rémi-de-Napierville.
En parfaits héritiers de l’obscurantisme qu’elles sont, ces brutes épaisses ignorent sans doute que Papineau aura notamment été l’un des chefs de file de l’Institut Canadien de Montréal, qui regroupait les Louis-Antoine Dessaulles, Arthur Buies, Joseph Doutre, Aristide Filiatrault et tant d’autres libre-penseurs de la deuxième moitié du 19e siècle, ceux-là même qui luttaient courageusement contre les fanatismes de toute sorte (en fait, on peut parier que la plupart de nos crétins fanatisés n’ont jamais même entendu ces noms-là...). Ces promoteurs de l’esprit des Lumières luttaient pour la liberté de pensée et d’expression, donc pour le droit de chacun dans notre société à exprimer ses vues sans subir d’ostracisme et sans être muselé d’aucune manière que ce soit. Louis-Joseph Papineau, fondateur du libéralisme politique québécois et adversaire résolu de la bêtise fanatique et du despotisme qui lui est inhérent, était leur principal inspirateur. Quelle honte de voir aujourd’hui les héritiers des ennemis obscurantistes de Papineau associer son noble nom à un acte aussi ignoble, un acte dont la teneur fanatique reflète tout ce qu’il avait combattu, un acte qui souille outrageusement sa mémoire. Puis, à peine quelques jours plus tard, les brutes épaisses auront récidivé (bien sûr, toujours en pleine nuit), en barbouillant les murs extérieurs du local de la Légion canadienne, à Lachine. La Légion canadienne, c’est surtout l’endroit où fraternisent les vétérans de nos forces armées. Bon nombre des membres de la Légion sont des gens bien de chez nous qui ont eu le courage, au cours de la Deuxième guerre mondiale, de s’enrôler volontairement pour combattre la barbarie fasciste, et cela tandis que les élites nationalistes d’alors clamaient que les bons c’était les fascistes, et que les méchants c’était les « Anglos-Saxons-à-la-solde-de-la-finance-juive ». Le chef collabo Philippe Pétain, celui-là même qui s’était assuré que la France reste bien soumise à l’occupant nazi, était d’ailleurs un bien bon gars aux yeux des Lionel Groulx, René Chaloult, Maxime Raymond et autres chefs nationaleux de la même engeance, et dont la plupart des gardiens du temple nationaliste d’aujourd’hui ne cessent de chérir le souvenir.
Cependant, l’un de nos grands hommes de lettres, Louvigny de Montigny (1876-1955, homme de théâtre, l’un des fondateurs de l’École littéraire de Montréal qui a aussi fait connaître le roman Maria Chapdelaine, et que Lionel Groulx embroche dans ses Mémoires en soulignant le fait qu’il était « associé à une Juive »), s’était à l’époque montré très peu tendre pour ceux qu’il appelait les exploiteurs du patriotisme inverti :
« J’ai résisté à l’ironie qui me poussait à décrire des états d’âme que la guerre a suscités parmi nos gens : benêts et vaniteux coloniaux qui tiennent rigueur de leur infériorité à la France aussi bien qu’à l’Angleterre, prêcheurs de l’isolationnisme, racoleurs de votes, profiteurs des calamités publiques. Le cautère de la caricature conviendrait mieux à ces trublions qui ont fait de leur mieux pour saboter notre élan national, en ergotant sur la légitimité de cette guerre, du conflit déclenché, à leur avis, pour assurer la suprématie financière ou politique d’une puissance qui nous est étrangère sur une autre qui nous l’est tout autant. Les millions de victimes innocentes de l’horreur nazie n’intéressent nullement ces messieurs. Il leur est égal que le boisseau nazi étouffe le génie français qui a assuré et continue d’assurer la survivance au pays de Québec. Les exploiteurs du patriotisme inverti se manifestent dans tous les pays du monde, et les nôtres ne présentent pas d’originalité qui vaille qu’on la souligne. »1
Mais là où je veux en venir, c’est à la répugnante écoeuranterie que représente le geste d’avoir souillé les murs de la Légion canadienne. Tout ça, vraisemblablement, parce qu’il y a le mot « canadienne » dans le nom de l’association ciblée. Un réflexe d’épais, bien entendu. Mais par leur acte, ces crétins ont blessé en plein cœur nos compatriotes qui se sont courageusement battus contre la bête immonde du fascisme, et à qui on doit aujourd’hui ces libert&eacut e;s qui sont aujourd’hui les nôtres. Pour contribuer à la réparation de cette injure commise contre nos héros par les brutes épaisses, je ne vois rien de mieux que de redonner la parole à Louvigny de Montigny :
« Il appartient [à l’Histoire] d’attester l’ardeur de nos armées volontaires qui sont allées à l’ennemi pour préserver de la barbarie notre civilisation méditerranéenne, pour défendre de loin notre pays de Québec et le Canada tout entier, qui ont inscrit le nom canadien au rôle de l’honneur et ont fort allongé la liste des héros dont nous pouvons nous réclamer. »2
Puissions-nous être de plus en plus nombreux à vous entendre aujourd’hui, Louvigny de Montigny. Car il est plus que temps d’en finir avec ces brutes épaisses et leurs guides, avec ceux-là qui continuent de pervertir le noble mot de patriotisme en nous volant notre histoire et en la souillant de leurs actes ignobles. Notre Patrie, c’est celle des libertés pour tous, ici, au Québec. C’est elle que le libéral Papineau défendait, c’est pour elle que se sont battus nos vétérans de la Deuxième guerre mondiale. À notre tour de la défendre, notre Patrie, en nous réappropriant d’abord notre histoire, celle de tous les démocrates Québécois quelles que soient leurs origines, celle-là même que les adeptes du patriotisme perverti nous ont volée à force de détournements de sens, de mascarades grotesques et de profanations haineuses.
1 Louvigny de Montigny, Au pays de Québec, Montréal, Société des Éditions Pascal, 1945, p. 15.
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