Nous sommes en récession. À quelques exceptions près, les experts s’entendent pour identifier la cause du mal : la « déconnexion entre économie réelle et finance virtuelle. ». Tous conviennent que la crise emmènera des changements. Dans La Presse du 5 juin, Alain Dubuc écrit qu’elle « va forcer les économies à se transformer et à s’adapter à un monde qui ne sera plus le même . Dans la revue Liberté, Gilles Dostaler déclare : « Cette crise est donc l’occasion idéale pour remettre en question la façon dont nous fonctionnons . ».
Il y aura donc des changements. Il y en a d’ailleurs déjà. Qui aurait dit il y a un an que le gouvernement américain deviendrait actionnaire majoritaire de GM ? Ces changements présents ou futurs sont-ils tous souhaitables, tous inévitables ? Faut-il vraiment que les gouvernements accumulent d’énormes déficits ? Des disciples de Keynes ou de ceux de Friedman, lesquels voient juste ? Le simple citoyen peut-il faire autrement que de croiser les doigts en espérant que les gouvernements prendront les bonnes décisions ? C’est ce que je fais pour ma part, tout en lisant un tas d’articles et de bouquins afin d’y voir plus clair. Mais j’ai beau vouloir garder la tête froide, c’est plus fort que moi, les prophètes me hérissent.
Je parlais d’exceptions... À l’encontre de l’opinion générale, selon laquelle c’est la déréglementation néolibérale à la Thatcher ou à la Reagan qui searit à l’origine de la débandade, les libertariens affirment que la crise financière aurait été provoquée par les banques centrales, trop interventionnistes, donc par les États eux-mêmes. On trouvera dans la revue Argument un bel échantillon de cette pensée dans un article de Martin Masse, qui s’appuie sur les théories de l’école d’économie autrichienne (Hayek, von Mises, Rothbart). Il va sans dire que Masse réprouve les mesures de sauvetage ordonnées par les gouvernements, mesures qui consistent à détourner l’argent des contribuables pour servir à l’économie malade une dose massive du médicament qui l’a déjà intoxiqué. Il faudrait, écrit Masse, « permettre la liquidation des malinvestissements et laisser les marchés se réajuster. » L’article se termine sur cette phrase : « Mais si nous voulons sortir de ce cercle vicieux et retrouver une prospérité stable et durable, seul le capitalisme pourra nous y mener . » Je veux bien croire, mais j’accueille tout de même avec beaucoup de scepticisme un discours qui, de l’aveu même de son auteur, ne rallie que très peu de spécialistes.
Il faut également compter parmi les exceptions la gauche anti ou altermondialiste, pour qui la cause des cafouillages du capitalisme, c’est le capitalisme lui-même, qu’il ne faut pas soigner mais euthanasier, idée reprise dernièrement par Québec Solidaire. Deux ouvrages publiés récemment nourrissent cette école de pensée : Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, de Hervé Kempf ; Capitalisme et pulsion de mort, de Gilles Dostaler et Bernard Maris. Kempf porte au débit du capitalisme tous les problèmes environnementaux de la planète. Le socialisme ultra-pollueur ayant presque complètement disparu, il a beau jeu. Rien de bon n’ayant jamais résulté de l’économie capitaliste, il ne nous resterait plus qu’à aller vivre en autarcie au fond d’un rang. Quant à Dostaler et Maris, ils appellent à la rescousse de leur thèse l’infortuné Sigmund Freud. Thanatos est sans doute à l’œuvre au sein de l’économie libérale, mais ce que je sais sans l’ombre d’un doute c’est qu’il redoublait de zèle quand sévissaient le communisme et le nazisme, et qu’il se manifestera toujours quand nous serons tous redevenus chasseurs-cueilleurs.
Sur le même sujet, je recommande plutôt l’ouvrage déjà classique d’André Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ? ou le livre d’Alain Dubuc, Les démons du capitalisme. Pourquoi la crise et comment s’en sortir. Les deux ouvrages mentionnés précédemment se distinguent de ceux-ci comme l’astrologie se distingue de l’astronomie.
La conclusion que je tire de mes nombreuses lectures, c’est qu’il est vrai que le monde change, parfois pour le mieux, parfois pour le pire. À nous d’orienter ces changements dans la bonne direction. Mais que l’on trouve ou non des solutions aux problèmes qui confrontent la planète, le monde transformé qui nous attend sera capitaliste.
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