Ringuet, cet illustre inconnu

Par Louise V. Labrecque le 21 avril 2011

Philippe Panneton, dit Ringuet (nom de sa mère), trifluvien d’origine et ensuite montréalais, écrivain et auteur du roman Trente arpents amène une réflexion sur nos origines.  Tel un monde oublié, le Dr Panneton illustre avec force et justesse, dans le livre Un Monde était leur Empire, notre préhistoire américaine.  Dans les manuels, nous nous intéressons en effet beaucoup plus à l’Europe qu’à l’Amérique. Ce fait s’explique aisément et il n’y rien là de quoi s’élever. Nous sommes bien un peu européens malgré notre transplantation il y a quelques siècles en sol québécois.
Toutefois, Ringuet estime que nos commettons de ce côté quelques exagérations et que nous traitons ainsi de façon cavalière tout un peuple soit les civilisations qui se sont développées sur notre continent et territoire québécois avant même l’arrivée des blancs.  Ces civilisations doivent retenir notre attention, car ce sont des sociétés qui ont connu un niveau de raffinement intéressant et constituent nos racines les plus profondes. En effet, les empires Mayas, la civilisation des Incas et des Mexicains par exemple ont été largement ignorés et Ringuet par ce livre Un monde était leur Empire, éclaire notre lanterne. Pour procéder à une juste analyse, il est nécessaire dans un premier temps d’observer Philippe Panneton et l’ensemble de son œuvre et dans un deuxième temps de réfléchir à notre évolution par l’entremise du livre Un monde était leur Empire, et ainsi faire des corrélations avec le “fameux” livre Trente Arpents. 

Philippe Panneton (1939-1970) a, depuis la publication de Trente Arpents chez Flammarion, jeté la pierre de base de la littérature canadienne-française. Tous les manuels et doctrines littéraires s’entendent pour qualifier de remarquable l’œuvre de Philippe Panneton. Une quasi-perfection et pourtant il a fallu beaucoup de temps avant que la critique soit émue. Le personnage d’Eucharistie Moisan, que Ringuet met en scène dans Trente Arpents est « terrestre » et « grossier » et selon la critique, ce paysan n’est pas un paysan Canadien-Français, mais un fantôme qui n’existe que dans l’imagination de l’auteur. Or, selon la critique de l’époque, ce n’est pas le portrait exact du paysan, que Ringuet met en scène, mais un grossier matérialiste qui limite ses horizons à ses trente arpents. Il fait de sa terre une religion voire une divinité et la considère non comme un moyen, mais une fin autour de laquelle tout converge : Dieu, femme, enfants et labeurs de tous. Il s’intéresse qu’à sa terre et uniquement à ce qui est utile pour celle-ci.  À ses yeux, la terre est tout, plus que les siens, plus que lui-même. Il voue à ses trente arpents une passion romantique : « J’ignore ce que pensent de Trente Arpents nos braves paysans canadiens. Je doute fort qu’ils y voient la peinture exacte et fidèle de notre classe paysanne au cours des derniers cent ans ». Ce point de vue a de quoi surprendre en 1939 alors que Trente Arpents s’attache précisément à donner à son auditoire un véritable ouvrage du terroir canadien-français.  Un brave paysan attaché à sa terre, à ses trente arpents de bonne terre de chez nous. Philippe Panneton a écrit là la plus belle et la plus vigoureuse œuvre de la littérature canadienne-française qui fut même mise en onde à la radio à Montréal et Québec. L’œuvre de Philippe Panneton prend alors son essor et il reçoit le premier prix David (ex æquo avec Clément Marchant) en septembre 1942 pour Trente Arpents.  Ensuite viendra le nouveau livre de Ringuet parue aux Éditions Variétés : Un monde était leur Empire, non pas un roman, mais un ouvrage de vulgarisation, un livre illustré de cartes qui traite de la naissance et de la mort des empires que le pays a vu défiler au cours de son histoire. Des empires qui ont compté parmi les plus grands au monde et qui feront de cet ouvrage un livre de référence exceptionnel.  Ringuet historien? Oui et non. Il ne délaisse pas le roman et continue à exciter l’imagination par la formidable aventure qu’inspire la quête des hommes venus d’Asie, il y a quelque vingt mille an, et qui a édifié des civilisations et dont les vestiges demeurent encore parmi nous.

Avant ces succès, Philippe Panneton publie en collaboration avec le journaliste Louis Francoeur un livre humoristique : Littératures… à la manière de… aux Éditions Variétés qui est aussi un hommage plein d’ironie et d’humour spirituel. Ce fut un grand succès de librairie.  Ensuite il publie un livre de contes : l’Héritage qui demeure un moment fort de notre littérature. En effet, les contes de Ringuet sont d’une si grande richesse poétique qu’il réussit à étoffer par ses parfums la vie ordinaire d’humains misérables. 

  L’apport intellectuel qu’ajoute toutefois Un monde était leur Empire fourni quelque chose de remarquable chez nous. Cet observateur au savoir encyclopédique qu’est le Dr Panneton est un regard à la fois réfléchis et travailleur sur l’évolution de notre peuple « castor en Amérique ». Une grande inspiration qui dépasse l’histoire de ce castor justement pour nous faire entrer de plain-pied dans l’évolution de l’Homme, l’homme américain certes, mais aussi d’une science d’ordre morale, ou les interprétations –et Dieu sait qu’il y a place à la diversité dans ce livre - ne sont pas indifférenciés de la formation des esprits. Évidemment pour l’époque il est audacieux pour Ringuet d’effleurer les vastes problèmes scientifiques que l’on retrouve dans cet ouvrage, mais toutefois utiles pour comprendre l’histoire ancienne. Le Dr Panneton est un littérateur et médecin et il touche aussi par son savoir les questions d’archéologie et d’ethnologie. Dès la page 7, il nous met au parfum de l’histoire des Mayas et des Quichuas pour ensuite nous familiariser avec celle des Mésopotamiens, Égyptiens et Grecs. Il va même plus loin, pour lui, les Américains sont des méconnus et nous leur devons un tribut de réhabilitation. Bien que la France soit notre « mère patrie » et que nous soyons tous fils et filles d’européens, nous devons être avant tout fils et filles de notre sol. C’est ici que ce livre touche des aspects troublants, un peu délicat parce qu’il propose subtilement une base de théorie de pensée nouvelle. Ainsi devons-nous nous mettre à l’école des protos Américains et organiser à l’exemple du Mexique, cette réaction anti-Europe? Cette théorie nouvelle, si on lit entre les lignes, est non seulement basique du panaméricanisme, mais véhicule l’idée de l’hégémonie anglo-saxonne à dissoudre et donc par le fait même tous les rapprochements latins. Ce sont des idées très audacieuses et il est particulièrement intéressant de noter qu’elles seraient audacieuses même de nos jours! Ringuet, visionnaire, était toutefois sensible à toutes ces questions universelles et ainsi en écrivant ce livre, il souhaitait que l’on fasse une place de choix dans l’enseignement de la préhistoire américaine aussi bien qu’au néolithique et le chalcolithique. Toutefois, il y a un paradoxe, une sorte de radicalisme, ce qui ne rend pas très sobre cette idée d’enseignement. En effet, à lire cet ouvrage on se demande si Ringuet n’est pas revenu amer de ses voyages et ses lectures. au point d’en être devenu anti-européen un peu comme Malraux est sorti anarchiste de ses fouilles indochinoises. La question demeure toujours sans réponse à ce jour. Ce qu’on retient est que de Trente arpents à Un monde était leur empire, l’auteur ne perd pas le fil conducteur, soit de nous ramener à  nous même sur notre longue route évolutive de nos origines, jusqu’à notre condition de Canadien français.  En effet, après avoir offert au lecteur dans les premières pages un tableau des âges généalogiques, même s’il existe là selon certaines recherches des inexactitudes, nous entrons ensuite dans l’esprit qui anime ce livre soit nos origines et notre évolution au sens large et en tant que nation. Donc, en passant par des questions aussi graves que la préhistoire de nos origines, le caractère des religions et les droits de la civilisation, l’auteur émet des hypothèses assises sur des données issues des sciences naturelles et même sur des données telles que la Bible qui met en lumière des révélations sur les traditions de peuples les plus anciens. Ringuet par Un monde était leur empire, mets en lumière le catholique qui prétend être scientifique et matérialiste et nous fait réfléchir sur les idées savantes. L’auteur reconnaît « l’œuvre apaisante, humanitaire, du clergé en Amérique » et il déplore en somme la disparition des religions mexicaines et péruviennes. La pensée maîtresse de Trente Arpents est ainsi respectée dans Un monde était leur Empire soit la terre nourricière, éducatrice de l’humanité.  La justesse –et le talent- que Ringuet a mis à mettre en lumière la vie de nos paysans baignant dans une atmosphère lourde, noire, désespérante dans Trente Arpents amène à cette vision évolutive dans Un monde était leur Empire. Toutefois, Ringuet reconnaît la crainte d’une évolution cyclique (le cercle symbole païen) ne nous enferme en tant que peuple dans un l’isolement de notre Nouveau Monde. C’est pourquoi l’évolution chrétienne ayant pour symbole la croix, étendant ses bras de miséricorde à l’infini est pour Ringuet intimement lié à sa vision personnelle dont nous reconnaissons la mérite littéraire dans Trente Arpents. Certains diront que cette idée est régressive, mais cette question est complexe et donc impossible à exposer ici. 

Maintenant, nous en venons aux détails qui justifient ce que nous venons de dire soit que Ringuet par son œuvre importante s’efforce d’être partial. Surtout dans sa présentation des invasions et de l’installation européenne en Amérique. Il n’est pas tendre envers les conquérants espagnols en affirmant que « la colonisation espagnole a été un long cauchemar sur lequel l’histoire a pris l’injuste parti d’étendre un voile opaque ». Il existe des questions sans réponse, notamment sur la question de cruauté des Espagnols envers les indigènes toutefois à plusieurs endroits dans l’ouvrage, l’auteur condamne l’occupation de l’Amérique par les européens ce qui revient à dire qu’il n’accepte pas le droit de la colonisation. Le portrait est intéressant dans la mesure ou il nous amène à l’Alliance entre Champlain et les Hurons qui seraient en fait la cause certaine d’un empire pour les Français. Ringuet exagère peut-être, mais il n’en demeure pas moins qu’en analysant la neutralité que Champlain a eue envers les Montagnais et tous les Algonquins, qui étaient en somme les voisins des Hurons, on peut se demander si l’auteur a voulu regarder l’idée de nation qu’à la lumière d’une seule lunette.  

En conclusion, le livre Un monde était leur empire est très instructif et synthétise la préhistoire américaine d’une façon unique, propre à Ringuet. Bien que radical et même très radical par moment, l’ouvrage puise dans notre société, notre culture, des rapprochements intéressants et il est quasi impossible en tant que Québécoise de souche, de ne pas lier ce livre au discours de Trente Arpents, livre riche d’émotions, rempli d’amour pour le Québec et qui demeure pour le paysan, rempli de lyrisme et de beauté pour la terre canadienne. Ce charme grandiose de la terre s’allie, à la lecture de l’ouvrage passionnant d’Un monde était leur empire, et la somme des deux devient ainsi une révélation. Cette lecture m’aura permis d’effectuer d’autres lectures intéressantes et une réflexion inachevée sur mes racines québécoises, qui demeurent plus que jamais, une source vive qui va vers la mer. 

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