Nul n’est prophete en son pays et les traditions ont la vie dure. Notre temps salue des ruptures que l’ont dit necessaires . Or, je prefere, et de loin, saluer l’invention, la continuite des connaissances. Il y a une zone grise qui s’exprime ainsi : Sapere aude ! , soit le message celebre des Lumieres : « ose penser par toi-meme !» ou « aie le courage de te servir de ton propre entendement! » De plus, Pierre Bayle a ecrit sur le deracinement, ce qu’il exige de l’homme, a savoir le droit d’ « une conscience errante ». Et de la on suppose le defi irreconciliable avec une racine identitaire. Oui les Lumieres appartiennent a notre tradition, parce qu’elles sont un morceau important de notre rhethorique , mais dans le meme souffle elles nous disent bien de ne plus en avoir, de traditions, afin de pretendre a l’universel (la belle utopie ?) Bref, la celebre formule voltarienne « ecrasons l’infame » resonne d’outre-tombe, plus fort que jamais! Cette metaphore, cette evidence, n’est cependant pas la reponse a tous les maux de l’Humanite. Aucune certitude, nous le savons, nous tous ayant vecu un peu. Et le malaise (et c’est peu dire), devant toutes ces femmes voilees accable les esprits eclaires et demande prestement ou situer la frontiere entre la tolerance et l’intolerance. L’idealisme des Lumieres n’est plus de son temps et si on veut parler d’integration, il faudra parler des prejuges. En effet, si l’on veut reellement avancer (et eviter de tourner en rond ), il faudra que les idees l’emportent sur les prejuges : un gros mandat ! Pour cela, la critique de la raison moderne doit rencontrer tous les desirs, tous les efforts, toutes les realisations, dans son vouloir le plus profond : ainsi cette raison sera devenue autonome, bref savoir reconnaitre le caractere humain de cette raison. En effet, a quoi bon soulever « le voile d’Isis », qui cache l’essence des choses, si l’esprit humain, donc la raison, ne s’en trouve pas affirmee, autocritique, apte a se servir de son bon sens, et cela dans les moments les plus exigeants de la conscience humaine historique ?
En somme, Tocqueville a souleve cette posture interieure en son temps, et il semble que l’on consulte peu (ou devrais-je dire : pas assez) ses ecrits, de nos jours. En effet, quel que soit le degre d’incertitudes de la modernite au sujet d’elle-meme, nous sommes actuellement a la fin d’une epoque. Comme a la fin de la guerre du Vietnam, il se forme des liens etroits, mais fortement teintes d’insecurites. Partout et en tous temps ces liens sont extremement difficiles a defaire et mutent dans des conditions quasi-identiques : crises economiques et traditions collectives, lesquelles font preuve d’une tolerance remarquable a l’egard des rapports violents entre citoyens, meme au sein de la societe civile, allant jusqu’a revendiquer la liberte de parole la plus haineuse qui soit, le droit de possession aux armes, aux taux eleves d’assassinats, a la peine de mort et aux pouvoirs dont jouit la direction dans les entreprises. Bref, l’ego humain, s’il ne depasse pas ces pulsions, ne sera jamais dote de raison et des lors son egoisme naturel deviendra un principe de finalite dans une mutation repetitive et debile de son assonance profonde. Plotin conseillait de s’evertuer a « sculpter sa propre statue », ce qui inspire l’homme libre, non pas a la transcendance, mais a l’elaboration d’une nouvelle representation, un nouveau projet de construction, bref un depassement de son ego. Collectivement, se reformer veut dire se repenser, dans un partage mondial de valeurs : c’est un reel projet de liberation. Liberation de l’ego, liberation des pulsions les plus primaires, et ensuite un espoir persistant a essayer de concevoir l’avenir hors des fantasmes, des dogmes, des religions. En somme, savoir proposer au monde une vision de l’homme apte a nourrir une reelle vision humaniste. Si nous ne le faisons pas, nous stagnerons dans le conflit. Le conflit radical que rien ne peut apaiser, ni dissimuler, qui divise non seulement les societes, mais aussi les differentes cultures entre elles. Nous ne pouvons admettre d’en etre la a l’ere moderne! Il faut reconcilier chaque personne humaine avec ce qu’elle porte de bon et de meilleur en elle-meme. Et cela passe par la reconciliation (le Requiem) entre la foi raisonnee, soit l’atheisme, lequel englobe avec conviction la vie humaine acceptable pour tous. Pour cela, nous devons creer un nouveau paradigme, pour cela l’Islam doit se reformer, pour cela nous devons cesser de vivre sur des hypotheses usees jusqu’a la corde, et pour cela nous devons devenir humain, et non plus un troupeau d’individus, voire animalises lorsqu’il s’agit par exemple de masse fasciste ou consumeriste.
Bref, si j’ecris cet article, c’est pour ouvrir un espace a la parole, un espace a l’espoir, a toutes les situations transitoires de vide ou nous manquons d’air, de reperes, de symboles, afin de nous aider a evoluer, a nous representer une nouvelle position pour un projet global de civilisation. En somme, afin de se departir du reflexe sterile de Cassandre, qui n’arrive pas a avoir un mouvement de recul face a une situation donnee, ne sachant que brandir le drapeau des menaces apocalyptiques, de la barbarie, de la transcendance noire, bref de bien puerils debats qui ne susciteront, a la longue, qu’une pathetique image de prophetes de malheur. Maintenant, ce qu’il faut faire, c’est de nous engager dans un processus d’evolution par un mouvement concret, au fait des reels enjeux, car plusieurs changements sont en train de se produire et nous devrons en prendre la mesure, c’est-a-dire travailler activement a la sauvegarde de l’espace public, lieu devant etre et demeurer neutre et laic. Pour ce faire, nous devrons regarder du cote des traditions, ses consequences et ses tabous, en meme temps qu’il faudra de plus en plus pointer du doigt la responsabilite des medias.
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