Jean-Charles Harvey, le précurseur

Par David Simard le 1 mai 2008

Le lancement du Métropolitain, premier hebdo bilingue à apparaître à Montréal depuis des lunes, est une formidable occasion pour nous souvenir d’une figure importante de l’histoire du Montréal et du Québec du 20e siècle, Jean-Charles Harvey. Pourquoi ? Parce que ce défenseur des libertés avait promu, envers et contre les sectarismes de toutes sortes, la lutte contre les préjugés qui divisaient les deux principales communautés linguistiques de Montréal. C’est pourquoi je pense qu’il aurait vu d’un bon œil l’avènement, en 2008, d’un journal comme le Métropolitain.

Écrivain, polémiste et journaliste, Jean-Charles Harvey aura fortement marqué la scène politique et intellectuelle du Québec des décennies 1930 et 1940. En fondant son journal Le Jour, en 1937, il publia dès le premier numéro un article favorable à l’apprentissage de l’anglais comme langue seconde. Pour lui, cela n’empêchait en rien la maîtrise de la langue française comme langue maternelle. Au contraire, il y voyait un atout de taille : la possibilité pour les Québécois francophones de s’ouvrir au reste du continent, pour mieux se développer. Avec le débat linguistique qui fait encore rage 70 ans plus tard, la pensée d’Harvey sur cette question reste certainement d’actualité.

Mais sa contribution est encore bien plus large : le combat d’Harvey, c’était aussi celui libéralisme politique au Canada français, faisant de lui un précurseur incontournable en matière de progrès social et culturel, et aussi d’investissement par les Canadiens français de la sphère économique. Jean-Charles Harvey, c’était tout sauf la pensée frileuse, dans quelque domaine que ce soit.

Au moment où Le Jour fut fondé, l’éducation pour tous était encore    un projet bloqué depuis plus d’un demi-siècle par les élites clérico- nationalistes, qui avaient pour gourou le réactionnaire Lionel Groulx, celui-là même dont l’influence freina l’avènement de la modernité au Québec et dont Harvey était le principal opposant. Pour Harvey, le relèvement de la société canadienne-française et la formation d’individus pleinement libres passait par l’éducation gratuite, obligatoire et libérée des dogmes : « Plus le peuple, écrivait-il, s’élèvera en intelligence, en pensée, en raison, en science, en beauté, en justice, plus la démocratie se rapprochera de l’idéal qu’avaient rêvé ses fondateurs, ces millions de héros obscurs qui ont lutté pendant des siècles pour libérer des ténèbres l’avenir de l’espèce. »

Libre-penseur du type voltairien, Jean-Charles Harvey reste encore méconnu de nos jours, même si sa contribution au développement et à la modernisation de la société québécoise fut déterminante—il fut notamment une voix forte pour le droit de vote des femmes et pour la laïcisation des institutions publiques. En somme, il s’opposa à tout ce qui était à l’époque sectaire, réactionnaire, arriéré et xénophobe.

Harvey prônait l’ouverture des Québécois sur le Canada et sur le monde. Pour cet intellectuel libre et courageux qui aimait profondément le Québec, le français était l’une des plus belles langues au monde et il fallait la chérir, mais notre langue devait servir non pas à nous isoler, mais plutôt à créer. En quelque sorte à être, tout simplement. Comme il l’écrivait dans Le Jour, « si les Canadiens de langue française continuent de ne rien créer ni en science, ni en littérature, ni en philosophie, ni en art, ni en politique, ils sont sûrement destinés à disparaître.» On ne peut pas dire que cette idée est dépassée de nos jours. Au contraire.

Pour Harvey, une société est avant tout composée d’individus ; dans une démocratie digne de ce nom, leurs libertés et leurs droits fondamentaux doivent être protégés et respectés. Il croyait aussi que le rôle de la collectivité consiste à éduquer ses citoyens pour qu’ils puissent d’eux-mêmes faire le meilleur usage possible de leur liberté et, ainsi, contribuer au relèvement de leur société. Même si Harvey a été pour l’essentiel injustement négligé dans nos livres d’histoire, il n’en aura pas moins gagné lorsque, 15 ans après les combats qu’il livra dans Le Jour, une société émancipée du cléricalisme, mieux éduquée, plus moderne et plus hardie économiquement put enfin voir le jour au Québec.

À l’instar du Jour des années 1937-1946, souhaitons que le Métropolitain puisse, à son tour, stimuler au Québec la même fibre d’audace et de progrès qu’Harvey aura su, envers et contre tous, insuffler dans les débats de son temps. Faisons comme Harvey : prenons la parole, sans nous laisser intimider par les sectaires et frileux de toutes sortes—quitte à les envoyer se faire foutre s’il le faut. Brisons aussi les murs de préjugés et d’ignorance que des démagogues avides    de contrôler les esprits s’acharnent    à élever entre nos communautés. Comme Jean-Charles Harvey donc, disons enfin, haut et fort, qu’il          est fini le temps du silence et du conformisme.

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