Cette réflexion a été impulsée par le philosophe André Comte-Sponville avec un livre du même titre. Le bouquin encore très jeune (2004) construit une perception de la responsabilité dans notre système économique. Avec la crise économique qui sévit, il semble actuel de réviser ce moralisme qu’entend entretenir le capitalisme d’aujourd’hui, son système et son idéologie.
Le problème moral selon Comte-Sponville se situe à première vue chez le peuple alors qu’on sait qu’en démocratie il demeure extérieur à l’État. Savoir qu’il y a une morale – limitée bien sûr ‒ dans l’ordre technico-scientifique et politico-juridique ne dit pas tout, il en existe aussi une dans la multitude, le peuple. Or celui-ci se retrouve dans l’impossibilité de modifier toute exigence morale1. Vulgairement, dans l’espace social de notre époque, le peuple ressort avec moins de droits dans son point de vue moral que le Droit lui-même ne lui en accorde. Autrement dit, «l’ensemble de ce qui est moralement acceptable (le légitime) est plus restreint que l’ensemble de ce qui est juridiquement envisageable2». Ainsi, l’auteur nous rappelle que la morale est donc l’ensemble de normes et valeurs que l’humanité s’est en quelque sorte construites. Si bien qu’elle ramène à la question de limite et le pouvoir de donner moral au capitalisme.
Ainsi, la problématique est transportée à notre système actuel, monstrueux dans ses termes de grandeurs inimaginables qui nous dépassent. Le capitalisme n’est donc pas moral, dans la mesure où ce n’est pas la morale qui régit l’offre et la demande et encore moins une quelconque vertu qui crée la valeur, mais plutôt le travail. Le capitalisme n’est pas immoral non plus, mais il se situe comme amoral3, et voilà toute l’ampleur de notre réflexion. Si nous désirons une morale dans la société capitaliste, ne comptons pas sur l’économie et c’est encore moins le marché qui sera moral à notre place !
Mais cette amoralité n’est pas suffisamment comprise si seulement on l’a condamne. Elle renvoie directement à la responsabilité, notre responsabilité. La confusion des ordres, l’affaissement de la compréhension d’un système qui nous dépasse, voire nous transcende – par la main invisible selon certains— ne fait qu’enliser notre rôle dans celui d’un simple consommateur. L’heure est à la réflexion. Lionel Jospin, comme beaucoup d’autres hommes politiques, aspirait à une économie de marché, oui, mais pas une société de marché. Ce «sans limite» a non seulement dépassé les cadres établis, mais aussi s’est reconnu comme un mécanisme supranational et qui a englobé toutes les sphères de notre époque, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles. On croirait ici facilement à l’apogée de l’homo economicus alors qu’en réalité le système capitaliste a complètement évacué le sujet humain, l’homme pensant, pour le subtiliser en individu de marché, voire en unité marchande. Voici une rhétorique teintée de socialisme et d’anti-libéralisme ? Elle ne l’est pas. L’homme serait moral par nature, or ce qu’il conçoit et construit dans le réel ne l’est pas nécessairement. Le système économique est l’exemple probant de notre siècle. Rénover le capitalisme à la Sarkozy semble une optique insaisissable, dès lors que l’on veut réellement transformer depuis la base notre système.
En revanche, ce système dont on parle n’est pas transformable puisqu’il n’est pas rigide – et loin d’être naturellement régulé ‒ il est virtuellement existant. Voilà ce qui persiste depuis. On a responsabilisé cette nature économique au lieu de nous responsabiliser dans notre morale et dans notre représentation du monde capitalisme. Nous nous sommes peut-être abandonnés au profit d’un plus grand que soi, une sorte de transcendance économique qui n’est plus l’État, ni la société, mais le «système». Plus aucun modèle alternatif n’existe pour s’opposer à celui que l’on connaît. Soit. Mais cet acharnement sur le désenchantement de la mondialisation et ses ratés ne ramène en rien la charge humaine en question.
Autrement dit, non seulement notre mainmise impossible sur la grandeur du système, notre responsabilité, notre engagement s’est déplacé en l’État, qui lui-même par la suite s’est retiré de beaucoup de la responsabilité économique qui lui incombait. Donc, un constat à trois temps : le peuple, l’État et le système économique. Cette séparation des «corps» nous éloigne de plus en plus de notre possibilité de rénover et de nous responsabilisé sous cette restauration, de nous y soustraire. Au contraire, l’État n’est plus l’instigateur de l’économie de marché, et l’économie – dans son sens le plus large ‒ nous a retranchés au rôle de consommateur individuel. L’économie n’appartenant à personne, elle appartient d’emblée à tous. Le marché se doit de fonder de la solidarité alors qu’il règne seul. Toute société a besoin de lien, de communion, de sens4. Or l’appareil économique mondial n’a pas ce sens. Peut-il y en avoir lorsque ses fondations nous le savons sont non seulement virtuelles, mais elles contribuent à affecter le reste du paysage…avec de la spéculation ? Injecter de la liquidité dans une masse démesurée de dettes pour impulser un stimulus d’achat et de consommation, c’est injecter dans «l’ininjectable».
Débordement philosophique sur la question, peut-être bien. Toujours est-il qu’il demeure nécessaire de ramener sur terre ce qui nous surpasse pour le rénover sinon ce ne serait que de l’eau en poudre : rajouter de l’eau pour obtenir de l’eau.
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