La petite politique de la peur

Par David Simard le 29 mai 2008

En ce lendemain du dépôt du rapport de la Commission Bouchard-Taylor, me voici attablé à une bonne terrasse montréalaise. En observant les passants et passantes, je constate la diversité culturelle et linguistique qui règne à Montréal et qui fait l’un des plus beaux atours de notre métropole. Mais je suis brutalement ramené à une certaine réalité en entendant la discussion de mes voisins de table, qui semblent éprouver la sempiternelle insécurité identitaire des Québécois dits « de souche ». La fixation angoissée sur l’identité collective du « nous » n’a pas encore fini de faire des siennes, on dirait bien.

Tout ça me fait songer au projet de loi sur la citoyenneté québécoise que le Parti québécois avait mis de l’avant ces derniers temps. J’imagine que ça pourrait donner l’illusion de combler l’insécurité identitaire des Québécois dits « de souche » face aux Ontariens, et aussi face à ceux de l’Ouest de l’île de Montréal qui, dans l’esprit des nationalistes irréductibles, ne feront jamais partie de leur « nous ». Une telle conception de la citoyenneté me semble encore moins rose quand je pense au fait que les questions d’identité, de culture, de langue, et aussi celle des mesures pour les protéger et les renforcer, ont depuis longtemps tourné à l’obsession chez nous.

Pendant ce temps-là, on ne discute pas des moyens nécessaires à ce que notre système d’éducation devienne plus performant, et cela non seulement pour inculquer une plus grande connaissance du français chez les jeunes, mais aussi pour instiller chez eux une culture de la connaissance et de la curiosité. Par exemple, nous devrions encourager nos concitoyens jeunes et moins jeunes à lire davantage, ce qui ne nuirait sûrement pas à la pérennité de la langue de Voltaire au Québec : au chapitre de la lecture, nous nous classons au 10e rang des dix provinces canadiennes. Mais on est bien loin du compte : comme le montre le Journal de Montréal du 26 mai, le taux de décrochage scolaire a atteint le niveau du désastre au Québec, se hissant jusqu’à 85 % dans certains quartiers défavorisés de Montréal. La vraie menace à l’avenir du fait français au Québec, elle est là avant tout. Tant et aussi longtempsqu’un vrai virage ne sera pas vigoureusement entrepris en éducation, on ne fera donc que continuer de se péter les bretelles, en prétendant par exemple que nous avons une société qui encourage la création artistique et culturelle. La réalité, c’est qu’il y a très peu d’endroits en Amérique du Nord qui investissent moins que le Québec en matière de culture. Idem en éducation.

Il me semble aussi évident qu’une meilleure intégration des immigrants est plus que souhaitable. Pourtant, cette question pose moins problème que le nationalisme exagéré que véhiculent les franges les plus réactionnaires du mouvement indépendantiste.

Autrement, comment pourrait-on expliquer qu’un débat sur les accommodements religieux se soit transformé en débat sur la survie du français au Québec ? Ce fait me semble surtout symptomatique d’un manque de confiance en nous-mêmes. En jouant de démagogie sur nos peurs profondes, dont surtout celle de l’assimilation, les politiciens et intellectuels ultranationalistes nous incitent à nous méfier de l’Autre, c’est-à-dire de celui dont l’origine est différente de la nôtre. Pourtant, sans l’apport des immigrants, les Iroquois domineraient encore l’île de Montréal, et le Québec qu’on connaît aujourd’hui n’existerait tout simplement pas. Mario Dumont a misé sur les sentiments les plus bas de la population, mais en voyant le succès politique de l’ADQ, le PQ n’aura fait qu’attiser encore plus la peur identitaire, en espérant en tirer à son tour les dividendes. Face à cette petite politique de la peur, nous méritons pourtant mieux, beaucoup mieux… 

Les nationalistes ressentiront-ils toujours le besoin profond de se faire dire qu’en tant que Québécois ils sont tellement différents, ou encore qu’ils sont de plus grands adeptes de la culture dans le désert culturel qu’est à leurs yeux le reste du Canada et les États-Unis ? Mais tant qu’ils ressentiront ce besoin, les discours creux continueront à dominer la place publique, tout en écrasant les voix de ceux qui pensent que le nationalisme outrancier n’a rien de progressiste. Après tout, le nationalisme n’est-il pas qu’un ferment important de la pensée conservatrice ?

« Rien ne doit changer au pays de Québec », qu’y disent… Mais ce n’est pas avec une pensée frileuse comme celle-là qu’on prouvera la vitalité de notre culture et de notre identité. Faudrait bien que de plus en plus de Québécois s’en rendent compte, pour qu’on fasse enfin autre chose que d’avoir peur en tant que société. Faudrait bien se rendre compte aussi, comme le souligne très clairement le dramaturge René-Daniel Dubois dans le livre accompagnant le documentaire Un sur mille qui lui est dédié, que « le nationalisme, c’est la capacité de faire défiler sur un claquement de doigts un quart de million de personnes sur la rue Sherbrooke, en faveur d’un accord politique… que pas un traître chat parmi ces 250 000 personnes n’a lu « l’idée ne leur en a d’ailleurs même pas traversé l’esprit » … alors que près de la moitié des garçons, dans la ville même où se tient le défilé, ne terminent pas leurs études secondaires… sans qu’un câlice de chat ne dise un tabarnak de mot. »1

 

 

1 René-Daniel Dubois, Post-scriptum, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2007, p. 83. Pour se procurer le coffret livre-DVD Un sur mille : info@videographe.qc.ca ou 514-866-4720

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