Paul-Henri Thiry D’Holbach, Essai sur les préjugés, Paris, éditions Coda, 2008, 233 p.
Cet ouvrage constitue l’une des meilleures démonstrations à l’effet que les préjugés entretiennent l’absence de démarche intellectuelle face aux fausses représentations du monde. En d’autres termes, il s’agit de montrer en quoi consiste l’abdication pure et simple de la raison devant tout ce qui est présenté comme étant à croire sans examen, et aussi comment les pensées humaines sont, en quelque sorte, embarrassées par les préjugés qui remplacent souvent le manque d’éducation.
Dès les premières pages, le lecteur entre dans une expérience profonde de connaissance de soi. Une expérience pure qui dépasse, voire annihile tous les mysticismes mystificateurs, toutes les oraisons incantatoires à quelque dieu imaginaire ou à quelque gourou imposteur qui polluent notre monde actuel. Au lieu des pensées magiques ou des prières stériles adressées à des dieux imaginaires, ce livre promeut le travail naturel de la raison délestée des faussetés qui entravent son exercice. Encore faut-il que la raison reconnaisse ces faussetés. C’est pourquoi d’Holbach met en relief l’immense richesse que chacun de nous porte en tant qu’individu, une fois opéré le départage entre les préjugés et la réalité. J’ajouterais que cette richesse, loin de prôner une quelconque nation qu’il faudrait absolutiser, nous renvoie avant tout à cette humanité que nous avons tous en partage.
D’Holbach nous montre comment les préjugés nous infestent sans même que nous en soyons conscients, principalement en ce qui concerne deux domaines qui affectent nos vies plus ou moins quotidiennement : le religieux et le politique. On comprend ainsi l’importance de l’éducation à la raison, et aussi le fait que la vraie morale est incompatible « avec les principes religieux et politiques des hommes ». (En passant, on devrait peut-être s’en inspirer pour enseigner à nos enfants une vraie morale à la place de cette fantaisie insensée que, dans le système québécois d’éducation, l’on appelle Éthique et culture religieuse ). « L’erreur, nous dit d’Holbach, n’est une maladie innée du genre humain, la guérison de son esprit n’est devenue si difficile, que parce que l’éducation lui fait sucer avec le lait un venin dangereux qui finit par s’identifier avec lui et qui, développé par les circonstances, produit dans les sociétés les ravages les plus affreux. »
Pour ce qui est des préjugés dans le domaine politique, les humains, nous dit d’Holbach, « trouvent bien plus commode et plus court de se laisser entraîner par l’autorité ». Tous les régimes d’essence autoritaire ou à pensée unique en profitent amplement, et il est vrai que l’éducation aux valeurs humanistes n’est pas leur fort. Ils « calomnient la Nature et la raison ; ils les font passer pour des guides infidèles ». Ils parviennent à montrer que la vérité est dangereuse, tout en se gardant bien de dire qu’elle le serait avant tout pour eux-mêmes. Aussi ils la présentent comme difficile à atteindre, à moins de passer par leurs judicieux conseils qui souvent ne sont qu’affabulations ou mensonges.
D’Holbach ne fait pas qu’insister sur les préjugés : il offre aussi de savoureuses pages sur leurs envers plus lumineux, et en ce sens son ouvrage constitue un véritable plaidoyer en faveur de la vérité. Par exemple lorsqu’il attaque le préjugé bien tenace qui consiste à prétendre que « la vérité peut être dangereuse pour les peuples. Dire qu’il est des vérités que l’on doit taire, c’est prétendre qu’il est des maladies et des plaies auxquelles il est à propos de ne point appliquer les remèdes infaillibles et connus. »
J’encourage donc le lecteur à constater par lui-même l’étendue de la richesse d’enseignements pertinents que d’Holbach nous offre en si peu de pages. C’est un texte qui n’a pas d’âge, ni de frontière ; il s’adresse à tout être humain qui aime la réflexion et penser par lui-même. Puissions-nous être nombreux à tirer profit de la sagesse et du bon sens qui en émanent et, ainsi, faire connaître et apprécier de nos contemporains les œuvres éclairantes de ce colosse des Lumières, malheureusement trop souvent oublié, qu’était Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach.*
*Les œuvres de d’Holbach, qui étaient introuvables depuis longtemps, voire des siècles pour certaines d’entre elles, sont de nouveau disponibles grâce à Coda, une petite maison d’édition indépendante qui, depuis quelques années, en a entrepris la réédition
(www.editions-coda.fr ).
Commentaires
Veuillez vous connecter pour poster des commentaires.