Les apostats de la dernière pluie

Par Pierre K. Malouf le 9 avril 2009

Il existe pour un catholique deux façons de quitter l’Église : par une porte dérobée au fond de la sacristie, ou par la porte principale donnant sur le parvis.  La manière discrète et la plus courante : on  se désintéresse de la religion, on ne va plus à la messe, on ne reçoit plus les sacrements, on cesse de croire, mais sans le crier sur les toits ; la manière forte, c’est-à-dire l’apostasie.  Manière forte et parfois bruyante, adoptée par les vingt-six signataires d’une lettre publiée la semaine dernière dans Le Devoir : « Veuillez donc considérer cette lettre, écrivent les auteurs, comme une démarche d’apostasie et nous retourner, comme il se doit, notre certificat d’excommunication. »  Ces personnes recevront un accusé de réception qui sera aussi un aveu de déception, l’évêque ne pouvant qu’accepter avec regret la décision de ses ouailles démissionnaires.  Il ne pourra toutefois excommunier des gens qui l’ont devancé en s’excluant volontairement de la troupe des fidèles. Lourde tâche quand même pour les évêques, car il  paraît que le nombre d’apostasies est anormalement élevé actuellement dans les diocèses de Montréal, de Québec et de Sherbrooke.

La question que je me pose est la suivante (n’y voyez aucune intention moqueuse) : pourquoi maintenant ? Ce ne sont pourtant pas les scandales qui ont manqué dans l’Église ces dernières années, c’est-à-dire depuis le premier Concile de Nicée en 325 (dont tous les catholiques se souviennent avec attendrissement).  Car enfin, si on apostasie le 1er avril, c’est qu’on était encore catholique le 31 mars...  Bizarre ! Plutôt que de tomber, le fruit mûr pourrissait donc sur la branche ? Ou s’agirait-il plutôt d’une décision hâtive prises sur un coup de tête ?

Le moins que l’on puisse dire des apostats de la dernière pluie, c’est qu’ils sont fâchés noir. Fâchés contre l’Église en général bien sûr,  contre  le pape Benoît XVI en particulier, qui vient de se couvrir de ridicule lors d’un récent voyage en Afrique en prétendant que l’usage du condom favorise la diffusion du VIH. Fâchés surtout  contre l’archevêque de Recife au Brésil, l’ultraconservateur Mgr Cardoso Sobrinho, qui a excommunié la mère d’une fillette de neuf ans violée par son beau-père et enceinte de jumeaux,  de même que les membres de l’équipe médicale qui a procédé à l’IVG.  Cette affaire a fait grand bruit au Brésil, très rares étant ceux qui, dans ce pays pourtant très catholique, approuvaient la décision de l’archevêque, si bien que ce dernier a dû finalement lever l’excommunication.  En somme, l’Église a confessé son erreur, mais rien n’y fait,  plusieurs catholiques ne décolèrent pas. 

Reste, pour expliquer cette grogne persistante, la controverse autour du condom, qui, si vous voulez mon avis, est une tempête dans un verre d’eau, car il est de notoriété publique que l’influence réelle du pape est à cet égard  presque négligeable, en Afrique du moins.  Primo, la hiérarchie catholique africaine et plus particulièrement les clercs et les laïques qui travaillent sur le terrain ne suivent pas Benoît XVI (et ne suivaient pas Jean-Paul II) quant à l’usage de la capote. Secundo, l’Afrique compte près de 900 millions d’habitants dont seulement 15 % sont catholiques et théoriquement soumis à l’autorité papale.  Benoit XVI responsable de la propagation du sida en Afrique ? Un muffin en latex avec ça ?

Hors de l’Église, point de salut, disait-on jadis. Aujourd’hui, c’est le contraire : point de salut dans l’Église. Dans quelque église que ce soit, d’ailleurs. La conviction est aujourd’hui fort répandue, sinon majoritaire, qu’aucune conséquence bénéfique ne résulta jamais de l’existence des religions monothéistes.  Moi qui ne crois ni à Dieu ni à Diable et dont la vision est radicalement matérialiste, je ne partage pas cet avis.  Mais peut-être faut-il, pour porter un jugement impartial sur les bienfaits et les méfaits des religions, n’en pratiquer aucune depuis suffisamment longtemps pour en être à jamais détaché.  De toute évidence, ce n’est pas les cas des apostats de la dernière pluie.  Mais n’allons pas les en blâmer.

Voltaire écrivit un jour que « Dieu ne doit point pâtir des bêtises du prêtre ». Abandonnant l’Église, la plupart des apostats emportent Dieu dans leurs bagages. Pourquoi pas ? Pas besoin d‘être athée ou agnostique pour combattre le fanatisme et l’intolérance.

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