Les femmes trahies

Par Djemila Benhabib le 28 mai 2009

Fortement épaulée par des représentantes du Conseil islamique canadien et de Présence musulmane, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a adopté une résolution banalisant le port du voile islamique dans les institutions publiques québécoises, lors d’une assemblée générale spéciale qui s’est déroulée à l’université Laval, le 9 mai dernier, et à laquelle j’ai assisté en qualité d’observatrice.  Il y a des alliances et des prises de position qui minent les principes.  

La crédibilité de la FFQ est sérieusement entachée : pour une poignée de militantes islamistes, la FFQ a sacrifié des millions de femmes musulmanes qui, ici comme ailleurs dans le monde, se battent au péril de leur vie.  Aujourd’hui, il n’y a qu’un verbe qui tourne en boucle dans ma tête : j’accuse!

J’accuse la FFQ de trahir la lutte historique des femmes d’ici pour se débarrasser de l’hégémonie de l’Église catholique. 

J’accuse la FFQ de mettre un bâillon, (encore un !), sur la bouche de toutes celles qui, dans le monde, subissent dans leur chair la barbarie des régimes oppressifs musulmans qui les obligent à porter ce linceul de la mort qu’est le voile islamique. 

J’accuse la FFQ de compromission avec des mouvements politiques les plus rétrogrades comme que le Conseil islamique canadien, qui a mené une campagne acharnée pour l’instauration des tribunaux islamiques en Ontario, ou encore Présence musulmane, qui fait la promotion des thèses de Tariq Ramadan, qui prône un « moratoire » sur la lapidation des femmes adultères, un châtiment préconisé par la charia islamique.  Un moratoire…?!?

Le 28 février 1994, Katia Bengana, une jeune lycéenne de 17 ans, fut sauvagement assassinée par le Groupe islamique armée (GIA) qui avait imposé aux femmes de mon pays, l’Algérie, l’obligation de porter le voile islamique.  Katia était de cette trempe de femmes qui ne courbent pas l’échine et c’était en connaissance de cause qu’elle était sortie de chez elle la tête nue.  Ce jour-là,  j’ai compris qu’être femme avait un prix. J'avais 21 ans.  Alors qu’à cet âge on rêve généralement à mille et une fantaisies, je ne rêvais pour ma part qu’à sauver ma peau.  Ce jour-là, j’ai compris aussi que le combat pour la liberté et l’émancipation des femmes était l’un des plus périlleux qui puisse être. Cependant, j’étais loin encore de m’imaginer que cet engagement, aussi ardu soit-il, allait devenir aussi solitaire. 

Le 9 mai dernier, lorsque j’ai rappelé devant l’assemblée de la FFQ l’assassinat de Katia et celui, à Toronto le 11 décembre 2007, de Aqsa Parvez, cette jeune fille de 16 ans assassinée par son père parce qu’elle refusait le port du voile islamique, on me signifia que mon combat était « émotif ».  Certaines participantes m’ont même accusée d’être venue m’y faire du capital politique.  C’est bien étrange, mais personne ne fit la même remarque à des participantes du NPD et de Québec solidaire, qui avaient été candidates aux dernières élections.  Personne ne trouva rien à redire quant à la participation de Présence musulmane ni à celle du Congrès islamique canadien.  Bref, personne n’était là pour des raisons politiques…sauf moi ! 

À ma grande surprise, très peu de temps a été consacré durant cette même assemblée de la FFQ pour débattre de questions de fond comme la portée et la signification du voile islamique, la laïcité, les droits et les devoirs des commis de l’État et la situation des femmes dans le monde.  À ce chapitre, heureusement que trois femmes iraniennes ont rappelé le cauchemar que vivent leurs compatriotes depuis l’imposition du voile islamique par Khomeiny et sa révolution islamique en 1979.  Bien qu’il ait été beaucoup question des femmes arabo-musulmanes lors de cette rencontre, seule la propagande des femmes islamistes dominait.  Quel bel exemple de diversité et de pluralité ! C’est à croire que la pensée unique est devenue la norme à la FFQ. Quelle tristesse…

Combien de Aqsa Parvez faudra-t-il encore pour qu’enfin la FFQ comprenne que la bataille pour la liberté se déroule aussi ici même dans notre pays, au sein de nombreuses familles musulmanes ?  Que vaut le sang de ces jeunes filles et de ces femmes ?  Pour la FFQ, certainement pas grand chose… 

Djemila Benhabib est auteure de Ma vie à contre-Coran, éditions VLB, 2009.

 

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