Notre nombril: Sommes-nous moralement supérieurs aux Américains?

Par Pierre K. Malouf le 16 février 2011

Dimanche, 9 janvier 2011, 17 heures. Les nouvelles à RDI. À quel événement Radio-Canada donne-t-il la priorité ? Choix de réponses :

​1) la fusillade qui a eu lieu la veille à Tucson. Un désaxé du nom de Jared Loughner a assassiné cinq personnes et en a blessé treize, parmi lesquelles une élue de l’Arizona au Congrès, Gabrielle Giffords, qui était d’ailleurs sa cible principale. Une polémique fait déjà rage aux États-Unis. Un grand nombre de commentateurs « libéraux » accusent la droite républicaine, et plus particulièrement le Tea Party et Sarah Palin, d’avoir, par leurs propos incendiaires, provoqué le geste du meurtrier.

​2) le soulèvement populaire qui se poursuit depuis décembre en Tunisie et qui est à la veille de provoquer la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali au pouvoir depuis 23 ans.

​3) le référendum qui débute le jour même au Sud-Soudan, et qui est l’aboutissement d’un processus qui a débuté en 2002 avec un cessez-le feu qui mettait fin à une guerre civile qui a fait deux millions de morts. En 2005, un accord de paix accordait au Sud-Soudan une large autonomie. Du 9 au 15 janvier 2011, la population doit déterminer si le pays fera sécession ou maintiendra l'union avec le Nord.

​4) aucune de ces réponses

​Si vous avez répondu 4), bravo !

​Le Texas, la Tunisie et le Sud-Soudan sont des contrées lointaines, les événements qui s’y déroulent intéressent peu les Québécois, surtout s’ils occupent un poste de direction au service des nouvelles de Radio-Canada. Le grand événement du jour nous concerne davantage, car il a eu lieu chez nous. De quoi s’agit-il ? Mais du décès de Gaston l’Heureux, voyons !  

​Je n’ai rien contre Gaston l’Heureux, homme on ne peut plus respectable qui fut un excellent animateur. Sa mort est un triste événement. Mais que RDI en fasse la nouvelle du jour, voilà qui est symptomatique du nombrilisme qui afflige les médias québécois. Et qui ne se manifeste d’ailleurs pas seulement par le choix des nouvelles et l’ordre dans lesquelles on nous les présente, mais aussi, je dirais même surtout,  dans la manière dont elles sont traitées.

​Revenons, par exemple, aux événements de Tucson. La plupart des commentateurs ont repris les bobards de la gauche américaine sans plus ample informé et sans le moindre esprit critique. Joyce Napier, correspondante de Radio-Canada à Washington, nous a livré un reportage indigne d’une journaliste professionnelle. Les mêmes idées courtes ont d’ailleurs été tartinées par de nombreux reporters et commentateurs, entre autres par Richard Hétu de La Presse.  Évidemment, ces lancers de tartes à la crême ont pour louable conséquence de nous flatter dans le sens du poil. Tout le monde sait que nous sommes moralement supérieurs aux Étatsuniens, ce peuple de tireurs fous, où les politiciens qui sont trop lâches pour presser eux-mêmes sur la gâchette poussent les plus enragés de leurs concitoyens à le faire à leur place.

​En réalité, le débat politique est-il plus hargneux chez nos voisins du Sud que chez nous? Permettez-moi d’en douter. Tous les béni-oui-oui bien-pensants qui accusent de racisme, de xénophobie, de fanatisme ou de crétinisme le  Tea Party, Sarah Palin ou  Bill O’Reilley, l’animateur vedette du réseau Fox, ont-ils oublié les sinistres frasques de notre Pierre Falardeau national (Dieu ait son âme), qui ne poussait pas les indépendantistes à faire feu sur l’ennemi fédéraliste, non, mais qui, avec une bassesse qui donnait la nausée, se réjouissait après coup de la mort naturelle d’un Claude Ryan, et qui apprenait d’ailleurs à ses enfants à haïr à la fois les Anglais et les traîtres canadiens-français. L’un de ses rejetons l’en remercia d’ailleurs à ses funérailles.  Je dois rappeler à ceux qui diront que je fais trop de cas de Falardeau, qu’il était le chouchou des médias, que les milieux nationalistes en faisaient leur icône et que l’ex-premier ministre du Québec, Bernard Landry (c’est lui qui l’a dit), partageait la plupart de ses idées. Falardeau n’était pas un marginal.  Son triste exemple  fut suivi il y a quelques mois par Le Réseau de résistance du Québécois, qui se permit, après la mort de Claude Béchard, de faire paraître dans son journal en ligne un forum intitulé  « Un de moins », dans lequel des fanatiques se félicitaient de la mort d’un fédéraliste. Voilà donc en quoi consiste notre prétendue supériorité morale : attendre, bien planqué, que crève l’ennemi et fêter ça ensuite quand le cancer a accompli son oeuvre !

​Il faut quand même nuancer ce que je viens de dire. Au Québec, on ne se promène généralement pas avec une arme à la ceinture et encore plus rares sont ceux qui s’en servent pour tirer dans la foule. Mais il existe quelques rares exceptions, qu’il vaut la peine de rappeler. En 1984, à l’Assemblée nationale, Denis Lortie fait trois morts et huit blessés. En 1989, à Polytechnique, Gamil Gharbi, alias Marc Lépine, fait 14 morts, toutes des femmes, et 14 blessés, dont 4 hommes. En 1992, à l’université Concordia, Valérie Fabrikant tue quatre collègues et blesse une secrétaire. En 2006, au Collège Dawson, Kimveer Gill tue une étudiante et fait dix-neuf blessés.  

​Pas mal pour un peuple de seulement sept millions d’habitants! Mais ne dramatisons pas, il s’agit là de cas isolés auxquels il est vain de vouloir donner un sens. Tous ces assassins étaient atteints de délire paranoïaque. Bien sûr, certaines féministes trouvent encore le moyen de dire que Marc Lépine n’était pas «fou», mais qu’il s’agissait plutôt d’un idéologue conséquent, dont elles se sont d’ailleurs hâtées de faire un porte-parole des hommes québécois. Ce délire d’interprétaion proprement de chez nous est du même acabit que celui auquel la gauche américaine s’est livrée après les événements de Tucson.

​Nous n’avons pas de leçon à donner aux Étatsuniens. Notre nombril, que nous aimons tant contempler, est tout aussi crasseux que le leur.

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