En littérature, l’œuvre se crée lentement : on bâtit mot à mot. Le lecteur va de même, qui appréhende le monument, dans le détail, à tout moment. Le cinéma se poursuit dans ce continuum, avec, en prime, un autre niveau de lecture; l’histoire trouve une autre incarnation, et se fixe visuellement au monde, comme pour ajouter à notre compréhension, et bien sûr à notre plaisir. Ainsi, j’étais joyeusement impatiente d’aller voir ce film : « Monsieur Lazhar », et je me souviens de la toute première fois que je l’ai vu, lui, ce professeur débarqué tout droit d’Algérie; je me suis dit : « quelle belle chose que le talent d’enseigner. » En effet, on aura beau dire, on aura beau faire, c’est une qualité irremplaçable. Ainsi, travaillez, prenez de la peine, nous dit le fabuliste, c’est le fond qui manque le moins. Bien sûr; mais celui qui, précisément, manque le plus aux professeurs actuellement, c’est le talent. Avec nos sempiternelles réformes en éducation, nous avons perdu le sens du mouvement visant à « élever » l’enfant, du dynamisme de l’action portée vers l’étude et la compréhension des œuvres classiques, de l’art oratoire, et de la vérité psychologique. Pour « Monsieur Lazhar », le plus récent film de Philippe Falardeau, tout a commencé par le talent, ensuite, par sa passion communicative. Tout est là. Pourtant, la mise en situation se construit tout de suite autour d’un suicide, l’ancien professeur s’étant pendue dans sa classe, craquant sous la pression; car oui, enseigner est difficile, oui cela engage toutes les facettes de la personnalité, et craquer, cela veut dire dans le milieu de l’enseignement : burn-out, congés maladie, dépressions, et parfois l’irrémédiable arrive, un peu comme dans le film. En effet, la vie a plus d’imagination que les écrivains, la plupart du temps, mais pour les cinéastes, du moins pour Philippe Falardeau et son film « Monsieur Lahzar», il faut y voir un compte-rendu assez fidèle de ce qui passe concrètement, sur le terrain, dans nos écoles. Ainsi, l’action, les personnages, les lieux, -après la prémisse tragique de départ-, nous amènent dans le quotidien de cet immigrant algérien, fraîchement débarqué au Canada, in extremis suppléant d’une classe pour le moins particulière, dans une école typique du Québec. Ainsi, Monsieur Lazhar, pose ce geste heureux d’aller poser sa candidature comme suppléant au bon moment, comme on s’élance dans l’espace soudain touffu, soudain gorgé d’odeurs nouvelles; un regard rempli de nécessité : ce sont des moments de ferveur, ceux-là qui nous font agir avec l’énergie du désespoir, et poser précisément le bon geste, au bon moment. La tentation de critiquer le système d’éducation actuel se dresse aussi, infinie. En effet, on sort de la salle de cinéma avec le goût d’écrire, la responsabilité d’exprimer cette réalité, l’odeur de la craie sur le tableau, l’odeur des atmosphères, jusque dans les mots. Aussi, surtout, afin de comprendre la sensation de l’immigrant, sa réalité, jusque dans l’évitement de la souffrance, et ces joies partagées dans ces silences ou tout se livre, ou tout s’entends, à commencer par l’inhabituel. En effet, chez Philippe Falardeau se devine ce souci de bâtir les histoires à même la vie, se terminant par d’honnêtes vérités, sagesse des nations appelées moralité. Impossible, donc, de sortir de ce visionnement sans avoir le cœur navré, tout pantois, en même temps qu’illustré de riches images colorées, mais à l’extrême opposé de l’art naïf, avec ce genre de satisfaction grave de celui qui sait le long chemin, la traversée du désert, et les illusions : ces contes de tous les jours.
De plus, l’intrigue dicte la matière, ses luttes et ses paradoxes pas toujours brillants : l’éducation, sa réalité. Il y a de quoi là provoquer un petit scandale, penser à une autre révolution. En effet, j’ai été touchée par le tempérament de Monsieur Lahzar, ce qu’il porte de puissant : un genre de résistance, de liberté, un symbole de transmission, par exemple la manière dont il arrive à créer une complicité avec sa classe, ses collègues. Une lente et belle patience dans un pays enclin aux murmures, à l’effacement, qui ne se résout pas à faire. Ainsi, il serait déraisonnable de penser qu’il se sent à l’aise comme un poisson dans l’eau dans cette petite école du Plateau Mont Royal, mais nous assistons néanmoins, jour après jour, à sa métamorphose, tout en partageant ses relents du passé, sa démarche existentielle, de laquelle Falardeau va nous entretenir, jusqu’à la toute fin du film. En même temps, le fil cinématographique nous amène dans le récit d’anecdotes, amusant souvent Monsieur Lazhar, mais qui ne masque pas ses plaies, qui laisse deviner la tension intérieure de cet homme solitaire, algérien, qui a laissé sa femme là-bas, et dont nous apprendrons plus tard tout le drame personnel et politique. Bref, Philippe Falardeau est un véritable portraitiste et un critique social efficace; son style est discret, travaillé, mais souple et surtout parfaitement naturel.
En somme, je vous invite toutes et tous à voir, et même revoir, ce film; à en discuter autour de vous, à écrire si vous le pouvez, afin de le porter plus loin, plus haut, pour le fixer concrètement dans nos réflexions sur l’avenir de l’éducation au Québec, vaste sujet s’il en est, et dont nous semblons parfois avoir peur de dépeindre collectivement. En effet, au Québec, on passe souvent à deux doigts de faire quelque chose, à deux doigts d’aller au bout du monde, à deux doigt de créer de véritables chefs-d’œuvre.
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