Sarkozy a traité de sectaires certains nationalistes québécois. Le mot était peut-être exagéré. « Bornés » aurait suffi. Ou peut-être « obscurantistes ». Falardeau, par exemple, est un obscurantiste. L’énergumène écrivait récemment que l’historien Marcel Trudel aurait « vanté les mérites de la défaite », chanté « les louanges du conquérant ». Trudel n’a rien fait de tel, mais ce qu’il écrit dans Les surprises du Régime militaire, 1759-1764 et dans La Conquête de 1760 a eu aussi ses avantages, est trop subtil, trop équilibré, trop vrai surtout pour les neurones d’un butor.
Les sectaires, les bornés, les obscurantistes, les butors viennent de remporter une grande victoire morale : la commémoration de la bataille des plaines d’Abraham n’aura pas lieu. Je ne m’en plaindrai pas, mais j’aurais quand même préféré que l’on adoptât pour sortir de la crise une meilleure solution : l’uchronie.
L’uchronie, dit le Larousse, c’est « une reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire. » Où en serions-nous aujourd’hui si les Allemands avaient vaincu les Soviétiques à Stalingrad, si Napoléon avait remporté la bataille de Waterloo, si Montcalm avait battu Wolfe ? Pour ma part, j’ignore quels chemins l’histoire aurait suivi après Stalingrad ou Waterloo, mais dans le cas des Plaines d’Abraham, je n’ai aucun doute.
Si Montcalm avait été moins défaitiste (les quatre victoires qui avaient précédé le désastre des plaines d’Abraham ne l’avaient pas rendu plus optimiste quant à l’issue du conflit anglo-français sur le terrain nord-américain), s’il n’avait pas commis tant d’erreurs tactiques le 8 septembre 1759, si Québec n’avait pas capitulé prématurément le 13 septembre de la même année (1), si, surtout, lors des négociation qui menèrent au Traité de Paris de 1763, la France avait voulu conserver le Canada plutôt que la Guadeloupe et la Martinique (la récolte de la canne à sucre assurée par une armée d’esclaves rapportait davantage de profits que nos arpents de neige - et les sucriers anglais, qui ne voulaient affronter leur concurrence, exerçaient des pressions sur le gouvernement anglais pour que les deux îles demeurent françaises), si, si, si... les pisse-vinaigre nationalistes nageraient aujourd’hui dans l’allégresse, Pierre Falardeau, Patrick Bourgeois et Gilles Rhéaume seraient toujours de bonne humeur, Mme Pauline Marois n’aurait pas tardivement rompu les ponts avec les nationalistes à visées totalitaires, le journal « Le Québécois » serait une revue de chasse et pêche ! L’histoire officielle n’ayant pas permis que nous atteignions ces mirifiques résultats, je soutiens que la pratique de l’uchronie eût été une excellente solution de rechange.
Ainsi, le président de la Commission des champs de bataille nationaux, M. André Juneau, aurait dû servir aux traumatisés de 1759 un traitement gratuit qui aurait mis fin, du moins le temps d’une cérémonie, à des tourments qui durent depuis 250 ans et menacent de durer encore mille ans. Plutôt que d’annuler simplement la commémoration, la CCBN aurait dû effectuer une volte-face historique en modifiant sur les plaines quelques détails de la bataille réelle. Il aurait suffi de peu pour que les Français fussent vainqueurs, que les Anglais fussent rejetés dans le fleuve, que le Québec devînt indépendant ! Les concepteurs et acteurs de la reconstitution n’auraient eu aucun mal à effectuer ces menus changements au scénario.
Il ne se serait agi que d’une victoire imaginaire, dites-vous ? L’objection ne tient pas. Car c’est précisément dans l’imaginaire que nage la pensée des traumatisés de 1759, qui en 2009 ont encore des bouffées d’indignation en pensant aux 1400 fermes incendiées par les Anglais. Les prochaines générations devront-elles endurer encore longtemps le spectacle navrant qui afflige la nôtre : les héritiers des Falardeau, des Rhéaume et des Bourgeois déchirant leur chemise sur la place publique comme si rien ne s’était passé entre 1759 et les temps présents ? Come on ! Make a life !
Une nouvelle bataille des plaines d’Abraham a quand même eu lieu. Les manoeuvres d’intimidation des traumatisés de 1759 ont atteint leur but. Le directeur du journal « Le Québécois » se plaint maintenant de recevoir à son tour des menaces de mort. Voilà qui est fort déplorable, mais d’aucuns diront qu’il s’agit d’un juste retour du balancier. Ces menaces, de quelque bord qu’elles viennent, sont de la pure bêtise.
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