Pour en finir avec Falardeau

Dans mon dernier Brasse-camarade, Les rues de la honte, je lançais, au terme d’une démonstration qui montrait l’absurdité du projet de changement de nom de la rue Amherst, un appel auquel manquait une phrase essentielle   : « Mais je vous en conjure, débarrassez-nous d’abord du boulevard Maurice-Duplessis ! » Cet oubli est d’autant plus déplorable que l’entête de l’article annonçait qu’il y serait question du CHEUF.  Je reviendrai sur le sujet dans un prochain article ; aujourd’hui je veux régler le cas de Pierre Falardeau.

Tout parent de joueur de hockey a croisé à l’aréna de ces partisans déchaînés qui crient à l’injustice à la moindre occasion — punition donnée aux Bons du Québec, ou pas donnée aux Méchants du Canada, pour laquelle jouent aussi quelques abominables traîtres nés dans nos vieilles paroisses — ; qui crient au complot médiatique pour un simple hors-jeu ; qui hurlent que l’arbitre a été acheté par un ANGLA, un ethnique ou un capitalisssse ; qui accusent feu le grand-père d’un joueur adverse de sentir mauvais («Pourriture, Ryan ! ») ; qui abominent d’injures les  partisans des Méchants («D’la maaaaarde, Cohen ! Bloke de McGill, Tayloooor ! »), qui, grands experts de la GAME, gueulent des ordres aux joueurs de leur propre équipe (« Passe ! Shoote ! Patine ! Fais l’indépendance ! ») ; qui attendent le coach après une pratique pour lui passer un savon ; qui se prennent aux cheveux avec d’autres partisans des Bons ou  menacent de sévices corporels ceux des Méchants (surtout s’ils s’avisent de mettre le pied sur les plaines d’Abraham)...

Il appert que le gueulard en question est aussi un pas pire cinéaste et un auteur méritoire.  Mais quand y met les pieds à l’aréna, y capote ! Dans cette ligue de province où deux équipes s’affrontent vingt-quatre heures par jour, il fait partie du folklore, il est inamovible.  Animateur de foule, il n’en anime qu’une moitié , l’autre étant formée d’ennemis mortels  ou de traîtres à la Nâtion.  Très populaire auprès des commentateurs de sport, il devient intarissable dès qu’un micro lui est tendu.  Il déride les folliculaires avec ses jurons, il fait vendre de la copie avec ses insanités. 

Que disent les autres parents « pognés » avec un tel énergumène ? 

De retour à la maison, Mme Marois dit à son mari : « As-tu vu l’fou à Falardeau à soir ? Y a encore grimpé d’in rideaux !...»

Il y a des conciliabules : 

« Si y continue, dit l’un, moé j’change mon gars d’équipe.

— Faudrait, y dire de s’calmer un peu, glisse un autre.

— À cause de lui on fait rire de nous aut’es. 

— Ouais, mais c’est une excellent partisan, susurre en latin M. Landry. Et un très bon garçon... Un jour il m’a dit qu’il éprouvait à mon égard une grande affection.

—  Y participe à toutes les activités, opine M. Duceppe. Y organise des manifestations spaghetti, pis tout ça bénévolement ! 

— Coudon, demande quelqu’un, y porte quel numéro son garçon ? 

— C’est le p’tit Bourgeois. 

— Non c’est le p’tit Boulanger ! 

— Vous vous trompez, c’est le p’tit Rhéaume ! » 

Et tous de réaliser que le gueulard d’aréna est le père spirituel de tous les joueurs de l’équipe ; et tous de s’attendrir en se rappelant la cause de son indignation, de sa colère, de sa révolte  : en 1759, son équipe, LEUR équipe, qui s’appelait déjà les Bons, s’est fait laver par ceux qui s’appelaient déjà les Méchants.  Impossible de rabrouer un si fidèle patriote.

Et puis un jour, le gueulard d’aréna casse sa pipe. La GAME se poursuit en son absence.  Les Méchants sont toujours les Méchants, les Bons toujours les Bons, mais le niveau de décibels a baissé.  Le sol de l’aréna est jonché de bouchons de cire, mais personne n’ose dire ouf ! Avouer après sa mort qu’on en avait marre du gueulard, ce serait faire la preuve qu’on était trop lâche pour l’affronter de son vivant. 

Le parallèle que je viens de dresser a des limites.  Si je le rend public malgré ses lacunes, c’est qu’il m’a permis de comprendre pourquoi des indépendantistes apparemment sains d’esprit enduraient Falardeau, pourquoi ils portent un cilice sous leur camisole trifoliée pour avoir l’air d’être en deuil.  C’est tout simple : ils avaient peur de lui !  Falardeau les intimidait.  Imaginez comme ils auraient été mal pris s’il les avait accusés de défaitisme ou de trahison...  Ils n’ont pas osé le dénoncer quand il tonitruait à l’aréna, ils perdraient la face s’ils ne lui demeuraient fidèles après sa sortie. 

Ayons par conséquent quelque indulgence pour les larmes de crocodile de  Mme Marois et de  M. Landry, qui seraient bien plus à blâmer si leurs regrets étaient sincères.