La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 fut mise à mal dès le début. Aujourd’hui, l’utopie universaliste est surtout menacée par l’islamisme, qui ne sévit pas qu’en pays musulman. Il est en train de s’implanter en Occident, où ses adeptes s’ingénient à imposer leurs traditions religieuses aux dépens des libertés individuelles, celles dont leurs femmes devraient jouir, et les nôtres également, qu’ils cherchent à détruire. C’est le cas notamment de la liberté d’expression. «C’est pourtant sur ces terres, écrit Caroline Fourest, au coeur même des démocraties, que l’universalisme risque de succomber à force de tolérer les idées les plus intolérantes au nom du droit à la différence.» Ainsi résumé, le premier chapitre de cet ouvrage magistral y perd en richesse et en subtilité, je ne saurais donc trop vous recommander de vous précipiter chez votre libraire.
Captivant du début à la fin, ce vibrant plaidoyer en faveur de la laïcité (et surtout de son «modèle français») loge néanmoins à l’enseigne de la raison plutôt qu’à celle de la passion. La démonstration en est d’autant plus convaincante. « Je tiens, écrit l’auteur, à distinguer la religion de l’intégrisme, que j’entends comme son instrumentalisation politique à des fins intolérantes. Ce que me reprochent des groupes ultra-laïques comme Riposte laïque, pour qui cette vigilance est comprise comme une forme de naïveté face à l’islam.»
Certains reprocheront donc à Caroline Fourest de promouvoir une version trop soft de la laïcité, mais personne ne pourra cependant prétendre qu’elle ne maîtrise pas son sujet ou ne met pas cartes sur table. Ainsi rend-elle compte avec autant de clarté que de profondeur des tenants et aboutissants d’un double défi auquel tous les pays occidentaux sont confrontés : cohabiter avec les citoyens de toutes origines et de toutes cultures sans trahir nos propres valeurs ; défendre ces dernières sans tomber dans le racisme ou la xénophobie. Elle analyse dans le détail les cas de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de la France, etc. mais l’espace me manque pour tous les commenter. Je m’attarderai seulement sur celui du Canada, auquel elle consacre plusieurs pages, qui comptent parmi les plus fouillées.
«Considéré comme le berceau du multiculturalisme, le Canada connaît un vif débat au sujet de son modèle culturel.» En Ontario, par exemple, le projet de création de tribunaux islamiques de la famille — qui a heureusement échoué — a soulevé en 2003 et 2004 une vive controverse. Mais c’est au Québec que la question est la plus brûlante. L’analyse qu’en fait Caroline Fourest est fort juste — ce qu’elle écrit sur Hérouxville et son «code de vie» est bien documenté —, mais j’avoue avoir sursauté en lisant ce qui suit : «Loin d’apaiser les esprits, le rapport [Bouchard-Taylor] va verser du sel sur les plaies de la fracture entre fédéralistes et souverainistes. Le débat sur les accommodements raisonnables prolonge parfaitement ce clivage : en opposant une vision anglo-saxonne et fédéraliste multiculturaliste à une vision francophone souverainiste intégratrice ». Thèse déplaisante dont je suis obligé d’admettre après mûre réflexion qu’elle est probablement conforme à la réalité.
La preuve n’est plus à faire : l’islamisme poursuit des objectifs totalitaires. En Europe il a trouvé ses principaux complices parmi l’extrême gauche et chez les altermondialistes. Au Canada, le centre libéral se contente de lui laisser la bride sur le cou. Les tenants du multiculturalisme vont d’ailleurs jusqu’à nier l’existence du problème, alors que les nationalistes en exagèrent la gravité. Pour les premiers, le multiculturalisme et la loi qui l’encadre sont des vaches sacrées ; pour les seconds, il résulte d’un sinistre complot contre la Nation tramé par les descendants de Lord Durham.
Les apôtres inconditionnels du multiculturalisme commettent deux erreurs : ils font d’une part le jeu des islamistes, qui profitent de nos politiques non point accueillantes mais plutôt laxistes pour maintenir leur domination sur les membres de leur communauté — les femmes surtout ; ils font d’autre part le jeu des mono-maniaques de l’identité québécoise. Les nationalistes ayant tout intérêt à alimenter de craintes fantasmatiques le danger réel représenté par l’islamisme, les fédéralistes auraient intérêt à s’engager, ici même au Québec — car la loi fédérale n’est pas près de changer, ni la constitution d’être amendée —, dans une démarche qui devient de plus en plus urgente : le renforcement de la laïcité. S’il faut pour cela faire aussi disparaître le fameux crucifix de Maurice Duplessis, n’hésitons pas. Si ceux qui veulent maintenir l’unité du Canada n’imposent pas aux intégristes de tout acabit de sévères mesures prophylactiques, ils feront le jeu de leurs adversaires.
« Facilitateur de progrès pendant les années 90, lorsqu’il s’agissait de faire reculer les discriminations envers les minorités, le multiculturalisme sert désormais surtout à tolérer l’intolérable. » Attendrons-nous pour mettre le holà aux ambitions des islamistes que des manifestants brandissent dans les rues , comme à Londres récemment, des pancartes promettant à l’Occident un nouvel holocauste ?
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