Avons-nous déjà été Canadiens-français?

Par Pierre K. Malouf le 26 juin 2008

Interviewant Gérard Bouchard dans les heures qui suivirent la publication du rapport de la Commission sur    les différences culturelles, Dominique Poirier s’étonnait que   les commissaires utilisent à propos des Québécois « de souche » l’expression « d’origine canadienne- française », qui, disait-elle, nous ramène en arrière. M. Bouchard rétorqua qu’au contraire cela faisait avancer le débat, que l’expression  « de souche » devrait être réservée aux Amérindiens.

Suivant le dossier depuis plusieurs semaines, je prends acte aujourd’hui que plus de gens veulent se dire « de souche » que « d’origine canadienne-française ». « Le retour de l’expression CANADIEN-FRANÇAIS pour parler des Québécois [est une] RÉGRESSION SYMBOLIQUE », écrit Mathieu Bock-Côté (LA PRESSE, 29 mai). « À toujours chercher une nouvelle manière de nommer les Québécois, écrit   Bock-Côté, ne doutons pas que      les commissaires auraient bien pu finir par les qualifier de Paléo-   Québécois ». La paranoïa identitaire n’est pas toujours dénuée d’une certaine verve humoristique.

Plusieurs « de souche » (ou « pure laine ») se sentent donc humiliés si l’on dit tout bonnement qu’ils sont d’« ORIGINE canadienne-française ». Je ne parle pas ici de moins de cinquante ans analphabètes qui ne peuvent ni se souvenir ni avoir appris sur les bancs d’école qu’avant les années 1960, tous les Canadiens de langue française dont les ancêtres français sont arrivés en Canada, c’est-à-dire dans la vallée du Saint-Laurent, avant 1760, se disaient fièrement Canadiens-français, voire CANADIENS tout court (au dire des plus âgés, il n’y avait de Canadiens que nous, les Canadiens-français). Non, je parle de gens qui atteignirent l’âge de raison avant la Révolution tranquille, et qui, habités aujourd’hui par une honte absurde, veulent absolument oublier leur passé.

Permettez que je me cite en exemple. Que mon patronyme d’origine libanaise ne vous trompe pas, mes trois autres grands-parents s’appelaient Leclair, Chartrand, Larivée. Né Canadien-français,         je demeurai Canadien-français jusqu’au milieu des années 60. Je m’en souviens et je n’en éprouve aucune honte. Il n’y a pas de mal à reconnaître une évidence. Il semble cependant que mon attitude n’est pas très répandue. Il s’avère en effet que la plupart de ceux qu’on appelle couramment LES QUÉBÉCOIS FRANCOPHONES, voire LES QUÉBÉCOIS tout court, tiennent absolument à renier leurs origines. Paradoxalement, ce sont les mêmes qui tiennent mordicus au crucifix de l’Assemblée nationale, les mêmes qui manifestent des signes de choc post-traumatique quand les noms de James Wolfe ou de Lord Durham leur viennent aux oreilles. Baptisés sur les Plaines d’Abraham, confirmés au Pied-du-Courant, mais Canadiens-français ? Jamais, au grand jamais ! Essayez d’y voir clair… Ces gens-là, on les traiterait de FRENCH-PEA-SOUP, de FROGS ou de TARÉS qu’ils ne s’offusqueraient pas davantage. Cachez ce pedigree que je ne saurais voir ! Staline, lui, il faisait disparaître des têtes sur les photos officielles...

Quelle connerie que cette amnésie volontaire ! Rappelons que, depuis le milieu du XVIe siècle, on appelait Canada cette portion de la Nouvelle-France qui devint sous le Régime anglais THE PROVINCE OF QUEBEC, puis le Bas-Canada, puis la Province de Québec au sein du Dominion du Canada, et enfin... le Québec ! Nous occupons, que nous le voulions ou non, un territoire qui s’est d’abord appelé Canada, au sein duquel Kébec fut au début un comptoir commercial. Je n’ai rien contre le fait que Kébec et le   Québec aient grandi et progressé. Au contraire ! Je ne vois rien de choquant au fait que le mot Québec ait supplanté dans les cœurs et dans les esprits le mot Canada. Mais je  me demande bien pourquoi il faudrait hurler de rage quand on  nous rappelle qu’il n’en fut pas toujours ainsi.

Quoi qu’il en soit, personne ne semblait douter jusque vers le milieu des années 60 qu’on pût être à la fois Québécois et Canadien-français.             

Désormais, il faut être l’un ou l’autre. Objets de dégoût, le nom Canada et l’adjectif canadien doivent êtres bannis de notre patrimoine lexical, sauf quand il s’agit de dénoncer l’affreux pays qui nous empêcherait d’être nous-mêmes.

Allons jusqu’au bout de notre hystérie iconoclaste et censurons des pans entiers de notre histoire. Gardons-nous de ne régresser que symboliquement, ramenons la pensée nationaliste au stade pré-logique.  

Commentaires

Veuillez vous connecter pour poster des commentaires.


Editorial Staff

Beryl P. Wajsman

Redacteur en chef et Editeur

Alan Hustak

Senior Editor

Daniel Laprès

Redacteur-adjoint

Robert J. Galbraith

Photojournaliste

Roy Piberberg

Editorial Artwork

Mike Medeiros

Copy and Translation

Val Prudnikov

IT Director and Web Design

Editorial Contributors
La Patrie